Le cœur battant de nos mères, Brit Bennett

«couv26053582 Tous les grands secrets ont un goût particulier. » Nadia a 17 ans et la vie devant elle. Mais quand elle perd sa mère et avorte en cachette, tout change. Elle choisit alors de quitter la communauté noire et religieuse qui l’a vue grandir. Boursière dans une grande université, Nadia fréquente l’élite. Elle a laissé derrière elle Luke, son ancien amant aux rêves brisés, et Aubrey, sa meilleure amie. Durant une décennie marquée des affres de la vie, les trajectoires des trois jeunes gens vont se croiser puis diverger, tendues à l’extrême par le poids du secret.

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Le cœur battant de nos mères faisait partie des romans que j’avais repérés lors de la rentrée littéraire de septembre. J’ai pu l’emprunter à la bibliothèque, et je ne suis pas déçue !

Avant toute chose, j’ai lu quelques critiques négatives de ce livre (il a une note très moyenne sur Livraddict), en particulier parce que certains l’ont accusé d’être anti-avortement [Abracadabooks explique par exemple ce qui l’a dérangée]. Je dois dire que je ne partage pas du tout ce ressenti. Et lorsque l’on s’intéresse un peu à l’auteur, à son parcours, à la façon dont elle présente son roman, on voit bien qu’on est loin, très loin, de l’extrêmisme religieux anti droits des femmes.

Cette clarification faite, passons à mon avis plus général !

Nadia a 17 ans et vit dans une petite  ville américaine organisée autour de la paroisse. Lorsqu’elle tombe enceinte, elle se rend au centre médical pour avorter. Le récit va la suivre pendant plusieurs années et nous montrer comment cette décision de jeunesse va impacter la suite de son existence comme celle des autres protagonistes.

L’ambiance du roman est particulière puisqu’il nous place au cœur d’une communauté religieuse où la foi et les valeurs traditionnelles prennent une place très importante, qui transparait dans les opinions et les attitudes de certains personnages. Mais plus qu’un reflet des convictions de l’auteur, j’y ai vu un roman sur le poids de la communauté, un milieu où tout le monde se connaît et se surveille, où le comportement des filles est scruté, où les rumeurs se répandent comme une trainée de poudre. Un milieu aussi particulièrement hypocrite, où le pasteur est le premier à trahir sa parole quand il s’agit de son fils. Le roman nous montre l’aspect malsain d’une telle attitude et de la condamnation univoque des relations amoureuses et sexuelles. La communauté est incarnée par l’usage du « nous », d’une parole collective des « mères », des générations précédentes de femmes qui racontent, à la façon d’un interlude, ce qu’elles ont vécu et les mœurs de leur époque [un procédé qui m’a rappelé celui de Certaines n’avaient jamais vu la mer].

Le thème principal du roman est donc celui de l’avortement, et par extension de la vision religieuse d’une communauté qui condamne l’avortement comme un crime honteux et qui oblige Nadia à garder son secret bien enfoui. En nous plaçant dans la peau de l’adolescente, l’auteur insiste sur le poids qui repose sur les femmes, souvent seules dans cette épreuve (à croire que le bébé s’est fait tout seul…). D’un côté, on a le jeune homme qui essaye de se faire oublier, qui glisse une liasse de billets et hop on n’en parle plus. De l’autre, il y a la jeune femme, déterminée à ne pas faire la même erreur que sa mère en laissant un bébé non désiré décider de son avenir. Et pourtant, au fil des années, face à son insatisfaction et à l’échec de sa vie amoureuse, elle ne cessera de se demander ce que cet embryon aurait pu devenir et vers quelle vie il l’aurait menée.

Je trouve particulièrement intéressante la vision du roman, parce qu’il démontre bien que les choses ne sont jamais simples. Il ne s’agit pas ici d’être pour ou contre l’avortement (et je vous rassure, je suis 100% pour le droit à l’avortement), mais bien d’un droit à décider, d’un choix que chacun doit prendre et qu’il devrait pouvoir prendre de la manière la plus sereine possible, sans pression ou jugement extérieur. Une femme peut décider en toute connaissance de cause qu’elle ne veut pas d’un bébé, et ce sera pour le mieux pour elle et pour le futur enfant qu’elle n’aurait pas été prête à recevoir. Mais une femme peut aussi souffrir de cette décision et regretter toute sa vie le bébé qu’elle n’aura jamais connu. L’attitude de Luke apporte également un regard plus nuancé : si son comportement à l’égard de Nadia respire la lâcheté et l’abandon, c’est surtout celui d’un garçon jeune, pris au dépourvu, qui se laisse dicter sa conduite par ses parents et n’ose pas par la suite, avouer ce qu’il souhaite réellement.

Au-delà de l’avortement, Le cœur battant de nos mères met en évidence le poids des remords et des regrets et les secrets qui vous rongent. Loin d’être très gai, il évoque également les difficultés familiales, les parents violents, les mères absentes, le deuil d’un parent et l’incompréhension du suicide. On accompagne Nadia dans son passage à l’âge adulte et jusqu’à sa confrontation avec les fantômes du passé de sa ville natale. Pourtant, malgré la lourdeur du sujet et le malheur des personnages, j’ai été séduite par l’intensité du roman et complément charmée par l’écriture de l’auteur (j’ai appris plus tard à ma grande surprise qu’il s’agissait de son premier roman !).

Je tire de cette lecture une petite leçon : si jamais un livre vous tente, ne vous basez pas sur les avis négatifs pour le délaisser. Certes, vous prenez le risque de ne pas l’apprécier, mais il est aussi possible que votre ressenti aille à l’encontre de celui des autres, et ce serait vraiment dommage de passer à côté.

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En bref, un roman sur les regrets et sur ces choix qui affectent toute notre vie. Un roman sur l’avortement et sur la pression des communautés religieuses. Un roman sur les amours de jeunesse déçues et les désillusions. Un roman sur un certain conservatisme américain qui perdure. Un premier roman marquant et une auteur à suivre.

 

Verdict Un bon moment

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