L’Autre moitié de soi, Brit Bennett

Après deux articles bilans, il était temps de revenir avec une chronique !

J’avais repéré L’Autre moitié de soi à sa sortie lors de la rentrée littéraire de 2020, déjà convaincue par le nom de Brit Bennett. Il m’aura fallu trois ans pour l’en sortir de ma PAL. Le cœur battant de nos mères avait été un coup de cœur et a d’ailleurs été, il me semble, un succès éditorial. J’ai l’impression que son second roman est passé plutôt inaperçu, à tort !

Sans doute induite en erreur par le résumé de la quatrième de couverture, je m’attendais à un roman policier… Ce n’est pas du tout le cas !

En effet, le roman s’ouvre sur la disparition de deux jumelles adolescentes, Desiree et Stella, qui ont fugué de chez elle, et surtout sur le retour inattendu de l’une d’elle, quatorze ans après. Quant à Stella, personne n’a de nouvelle d’elle, les deux jumelles s’étant séparées pour suivre une trajectoire différente il y a bien longtemps. Si Desiree revient dans sa petite ville natale, où les regards lui pèsent à bien des égards, ce n’est pas de gaité de cœur. Victime de violences conjugales, elle cherche un refuge auprès des siens. Sa route va croiser celle d’Early, un ami d’enfance devenu détective privé, engagé pour la retrouver.

Si le roman démarre sur un rythme assez haletant, plein de mystère sur les raisons du départ des jeunes filles et le devenir des personnages, on évacue en fait rapidement ces considérations. Au départ, je n’ai pas pu m’empêcher d’être déçue que l’on ne suive pas plus l’enquête policière pour retrouver Stella, la sœur disparue. Puis j’ai compris que ce n’était pas le projet de l’auteure. Cette histoire de disparition sert en réalité à questionner la capacité d’une personne à changer de vie et à se réinventer. Peut-on choisir son identité lorsqu’on refuse celle que la société nous assigne ? Peut-on devenir quelqu’un d’autre ou finit-on par être rattrapé par son passé ?

Là où ça devient intéressant, c’est que l’auteure mêle ce sujet à la question raciale. Brit Bennett a imaginé une petite ville où s’est construite une communauté de Noirs à la peau claire, une volonté de son fondateur qui souhaitait un refuge pour les métisses, « les hommes tels que lui, qui ne seraient jamais acceptés en tant que Blancs mais qui refusaient d’être assimilés aux Nègres ». Dans ce contexte, le personnage de Stella permet d’interroger les différences raciales. Il brouille les frontières et met en évidence le caractère artificiel de ces distinctions, qui sont avant tout des catégories sociales. On est Noir ou Blanc parce que la société nous considère comme tel, avec le comportement qu’on y associe. La preuve, c’est qu’en ayant la peau claire, Stella parvient sans peine, en changeant sa démarche et son attitude, en prenant de l’assurance, en osant se mêler à la population blanche et en revendiquer les droits, à se faire passer pour Blanche. Dès lors, cela-a-t-il encore un sens de se dire Blanc ou Noir ?

Pour autant, on se rend compte que ces identités raciales ne sont pas l’apanage des Blancs qui voudraient conserver leurs avantages et leur position de domination. A Mallard, personne n’imaginerait qu’un habitant épouse une personne à la peau plus foncée ; une telle union serait perçue comme une régression, un déclassement social et contraire au projet initial qui consiste à obtenir, génération après génération, la peau la plus claire possible. La fille de Desiree fait d’ailleurs scandale pour sa peau d’un noir intense. D’un autre côté, la famille de Stella et sa communauté de Mallard lui en veulent et voient comme une trahison le parcours de celle qui a voulu renier ses origines et vivre comme une Blanche. Son choix fait immanquablement d’elle une étrangère, rejetée car elle n’est plus Noire.

L’Autre moitié de soi est ainsi avant tout un roman qui nous questionne et porte des sujets de société, presque au détriment de son intrigue. J’ai par moment regretté que l’on n’accède pas plus à l’intimité des personnages, notamment la relation entre Desiree et Early ou la vie de Jude et Kennedy, que l’on suit par intermittence avec des ellipses temporelles importantes.

En bref, un roman prenant qui nous parle de racisme, de discriminations, de préjugés et d’identité de manière plus générale. Je sais que les questions raciales sont chères à l’auteure, très engagée sur ces sujets (elle a d’ailleurs écrit un essai intitulé Je ne sais pas quoi faire des gentils Blancs, que je n’ai pas encore lu). On peut dire que Brit Bennett a réussi son pari en bousculant les cases, interrogeant les étiquettes pour nous forcer à remettre en question nos idées pré-conçues.

Une réflexion sur “L’Autre moitié de soi, Brit Bennett

  1. Pingback: Mes lectures de l’automne |

Laisser un commentaire