Le chagrin des vivants, Anna Hope

couv18907196Durant les cinq premiers jours de novembre 1920, l’Angleterre attend l’arrivée du Soldat inconnu, rapatrié depuis la France. Alors que le pays est en deuil et que tant d’hommes ont disparu, cette cérémonie d’hommage est bien plus qu’un simple symbole, elle recueille la peine d’une nation entière. À Londres, trois femmes vont vivre ces journées à leur manière. Evelyn, dont le fiancé a été tué et qui travaille au bureau des pensions de l’armée ; Ada, qui ne cesse d’apercevoir son fils pourtant tombé au front ; et Hettie, qui accompagne tous les soirs d’anciens soldats sur la piste du Hammer-smith Palais pour six pence la danse. Dans une ville peuplée d’hommes incapables de retrouver leur place au sein d’une société qui ne les comprend pas, rongés par les horreurs vécues, souvent mutiques, ces femmes cherchent l’équilibre entre la mémoire et la vie. Et lorsque les langues se délient, les cœurs s’apaisent.

* * *

Alors que son second roman, La salle de bal, est paru en France il y a quelques mois, j’ai découvert Anna Hope avec Le Chagrin des vivants. Il plaira sans conteste aux amateurs de romans historiques !

Le point de départ du roman se situe au moment des préparatifs pour l’arrivée à Londres du soldat inconnu, le 11 novembre 1920. Ne vous méprenez pas, cependant, l’intrigue ne traite pas du choix du soldat inconnu, comme je le pensais à l’origine. Il s’agit davantage d’un symbole, d’un trait d’union pour tous les Britanniques appelés à se réunir autour de la cérémonie pour partager leur douleur, comme une reconnaissance et un aboutissement du processus de deuil.

Durant les cinq jours qui précèdent, on va suivre trois femmes, chacune touchée à sa manière par la guerre, chacune touchante dans son deuil, sa souffrance et ses efforts pour faire face aux épreuves :

– Evelyn travaille au bureau des pensions pour les anciens combattants. Originaire d’un milieu plutôt privilégié, elle a perdu son fiancé à la guerre et, depuis, s’enfonce dans l’amertume. Quant à son frère, ancien capitaine, coureur de jupons, il sombre dans l’oisiveté et la drogue.

– Hettie, de milieu populaire, est danseuse au Hammersmith Palais, où elle est payée pour accompagner des hommes seuls, vétérans pour la plupart. Elle peine à joindre les deux bouts pour faire vivre sa famille, depuis que son frère est rentré blessé psychique de la guerre. Elle rêve d’une autre vie.

– Ada, la plus âgée, est endeuillée par la mort de son fils, dont le corps n’a jamais été retrouvé. Une part au fond d’elle espère qu’il est toujours vivant, quelque part, tout en sachant que ce n’est qu’une illusion. Sa culpabilité et ses  fantômes l’empêchent de faire son deuil et retrouver une proximité avec son mari.

La construction du livre, par l’alternance des points de vue de ces femmes, apporte une vraie dynamique au récit, par ailleurs plutôt calme (et pour une fois, ce n’est pas une critique !), et parvient, tout en subtilité, à faire se rejoindre les trois histoires. La plume de Anna Hope m’a vraiment donné envie de lire son deuxième roman.

J’ai rarement vu un titre aussi pertinent. Car le sujet du livre c’est vraiment cela : le chagrin des vivants. Ce n’est pas la guerre en tant que telle, ni les anciens combattants. C’est la difficulté pour ceux qui ont survécu à la guerre, qui ont perdu des proches ou qui ont été marqués d’une manière ou d’une autre par le conflit, de reprendre leur place, de réapprendre le goût de vivre, de retrouver un sens à leur vie et la foi en l’avenir. A la manière d’Evelyn, à qui les nouvelles naissances n’inspirent que morosité : à quoi bon faire naitre des garçons qui mourront au front ?

En ce sens, le sujet du roman est original. Des centaines et des centaines d’ouvrages, documentaires ou de fiction, ont été écrits sur la Première guerre mondiale, mais finalement peu sur l’après-guerre. Anna Hope parvient à retranscrire avec beaucoup de réalisme l’ambiance de 1920, dont on comprend qu’elle a constitué un moment particulier dans l’histoire. Deux ans après l’armistice, la guerre reste omniprésente, dans les souvenirs des (sur)vivants, dans le physique des hommes mutilés, dans le mental perturbé des vétérans, dans le noir des vêtements de deuil, dans la tristesse des veuves, des sœurs et des mères. On est également témoin de l’impact économique de la guerre, par le reste des pénuries, le dénuement des veuves, la misère des blessés de guerre réduits à réclamer leur dû au bureau des pension ou à vendre des babioles de porte à porte comme colporteur. Et cela rend d’autant plus difficile, pour les personnages, de s’affranchir de la guerre pour réapprendre à vivre normalement.

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En bref, un roman fort sur la difficile reconstruction, individuelle et collective, d’un peuple et d’un pays au sortir de la guerre ; le portrait de trois femmes qui partagent le chagrin des vivants, et à travers elles, d’une époque particulière, tiraillée entre la souffrance et la nécessité d’avancer.

Verdict Un bon moment

 

11 réflexions sur “Le chagrin des vivants, Anna Hope

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