Martin Eden, de Jack London

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Pour Ruth, dont il est follement amoureux, Martin Eden, dont la vie n’avait été jusqu’alors que « coups d’audace désespérée, aventures, dangers », décide de devenir un autre homme. Il sera écrivain. Martin étudie et travaille comme un damné mais le succès se fait attendre et tous le lâchent…

* * *

Je me suis accordée le droit de tricher un peu pour mon Défi 12 mois, 12 amis, 12 livres en remplaçant L’été grec de Jacques Lacarrière par Martin Eden de Jack LondonC’était mon copain qui m’avait conseillée ce roman, mais comme il n’est pas en France en ce moment, je n’ai pas pu lui emprunter, et pas moyen de le trouver en bibliothèque. Je me suis donc rabattue sur un de ses auteurs préférés dont j’avais déjà lu (et apprécié) L’Appel de la forêt et Le peuple d’en-bas. Et je dois dire que je ne suis pas mécontente de ce choix !

Si vous connaissez Croc-blanc, les romans de Jack London riment peut-être pour vous avec l’amour des animaux et de la nature. Mais ils sont également ancrés dans le social et engagés dans la dénonciation des inégalités de classe.

Martin Eden, un marin issu des quartiers populaires, tombe fou amoureux de Ruth, une jeune bourgeoise inaccessible. La rencontre avec cette femme bouleverse ses perceptions et ses aspirations. A partir de là, il va tout faire pour sortir de sa condition dans le but de la séduire. A ses yeux, le seul moyen de lui plaire est de s’instruire et de se mettre à sa hauteur. Déterminé à devenir un écrivain réputé, il ne cesse de rêver de gloire, mais son ambition est toujours au service de l’amour.

Sa première entrée dans le milieu bourgeois signe la découverte d’un monde inconnu. Il est frappé par le fossé immense qui le sépare de leur univers. Pour la première fois, il prend douloureusement conscience de son aspect rustre, vulgaire, sale. La grâce, le raffinement et la richesse ne font que souligner son ignorance et sa maladresse. Honteux de son insignifiance, de son argot et de ses fautes de grammaire, il décide de s’instruire. Progressivement, il se passionne pour les livres et sa soif de connaissance ne connait plus de limites.

Mais son cheminement vers la bourgeoisie ne sera qu’une longue suite d’efforts et de désillusions. A mesure qu’il devient plus érudit, il réalise que les études bourgeoises ne rendent pas les gens intelligents, et son admiration se change peu à peu en mépris face aux platitudes des hommes inintéressants obnubilés par l’argent et le fait d’avoir une « bonne situation ». Ruth n’échappe pas à cette déception, en raison de son manque de foi en lui et son obsession à vouloir le modeler selon ses désirs. [Au passage, je l’ai vraiment trouvée insupportable !]

Le roman traite aussi de la difficulté du métier d’écrivain. Porté par ses convictions inébranlables, persuadé de son talent, Martin Eden s’obstine à écrire, malgré les refus des rédacteurs en chef des revues et des maisons d’édition et sa vie de misère. Réduit à se consacrer à de la mauvaise littérature, alimentaire, il multiplie les petites histoires qu’il sait médiocres et méprise tout autant que leurs publicateurs. L’auteur porte une critique acerbe du milieu de la presse et de l’édition, dont il dénonce l’absence de scrupules et de jugement. Il évoque également le revers de la célébrité, l’hypocrisie de ceux qui vous lâchent quand vous êtes au plus bas et chantent vos louanges une fois que le succès et la richesse sont au rendez-vous.

Comme je vous l’avais annoncé au début de la chronique, on retrouve la patte de London dans la description de la dureté du travail ouvrier, de la misère et de la faim, de l’abrutissement des hommes qui deviennent, faute de labeur et d’épuisement, des bêtes bonnes qu’à boire et à dormir. La réflexion de l’auteur est aussi intéressante sur l’évolution de Martin, dans son passage d’un milieu à un autre. Sa situation est celle d’un « névrosé de classe » (mes cours de sociologie ressortent) : étranger à la bourgeoisie, il se sent également trop différent de sa classe d’origine, qui ne pense qu’à travailler pour gagner sa croûte, se bagarrer, boire et courir les filles, loin de ses aspirations personnelles.

Au final, j’ai regretté quelques longueurs et des passages un peu trop intellectuels sur la philosophie, les idées de tel ou tel auteur ou le socialisme. A mon sens, on aurait gagné à ce que ces réflexions ne soient qu’évoquées et non retranscrites en détail dans les dialogues. De la même manière, l’intrigue n’avance pas toujours à un rythme satisfaisant, et j’ai eu l’impression de tourner en rond pendant des pages et des pages au côté de Martin essayant de vendre ses manuscrits. Mais au-delà de ces quelques critiques, j’ai été séduite par la plume de Jack London, dès les premiers chapitres. L’auteur signe sans conteste un roman fort de sa critique sociale et du portrait sans fard du milieu de l’édition, d’autant plus cruel que l’amour ne semble pas pouvoir surpasser le pouvoir de l’argent.

 

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En bref, un roman marquant sur ce qu’un homme est prêt à accomplir par amour, sur la force des inégalités et du mépris de classe, sur les rêves de gloire et le métier d’écrivain.

Verdict Une bonne suprise

12 réflexions sur “Martin Eden, de Jack London

  1. Martin Eden est un énorme coup de coeur pour moi, j’ai été touchée par ce personnage, mais je comprends les quelques critiques que tu émets. C’est vrai que Ruth est un peu insupportable par moment !

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  2. Ton avis me donne envie de le lire ! J’avais beaucoup aimé Le vagabond des étoiles, et j’aimerais relire Croc-Blanc et l’appel de la forêt. J’aime beaucoup London, son écriture et ses engagements. Vu ce que tu en dis, il est fort possible que je me retrouve dans Martin ! J’ai aussi sur ma liste prioritaire Le peuple d’en-bas, Le talon de fer, Le loup des mers (lu une adaptation BD génial de Riff Reb’s!). Il va falloir que je choisisse pour enfin m’y replonger !

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    • Je n’avais pas aimé Le vagabond des étoiles, mais je pense que c’est parce que je préfère quand il traite des questions de société et de la nature ! J’ai lu le Peuple d’en bas parce qu’il était conseillé par mes profs quand jetudiais l’histoire de cette période et il est marquant de réalisme, puisque c’est presque une expérience sociologique faite par l’auteur. J’espère que tout ce petit programme te plaira ! 🙂

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