Quatre lectures sur le terrorisme

Aujourd’hui, je vous retrouve avec un ensemble de mini-chroniques un peu particulières. Parmi la sélection du Prix des chroniqueurs Web se trouvaient deux romans ayant pour thème les attentats et le djihadisme. J’ai lu le premier en novembre mais je ne l’avais pas chroniqué, faute de matière suffisante. A la lecture du deuxième, je me suis dit que ce serait bien de les regrouper pour vous faire un article thématique. J’ai donc complété ces lectures par deux autres, et me voilà !

couv21139034A la place du cœur, Arnaud Cathrine

Depuis que la France est frappée par le terrorisme, beaucoup de romans, en particulier jeunesse, se sont emparés du sujet. A la place du cœur en fait partie. On suit Côme et ses amis à la période des premiers émois adolescents et du choix de l’orientation en Terminale. L’attentat de Charlie Hebdo puis de l’Hypercacher vont provoquer de nouveaux bouleversements à gérer. Le roman m’a ému en me replongeant dans les jours suivant les attentats de janvier 2015. J’y ai retrouvé mes réactions et sentiments, le choc, les craintes pour l’avenir et la situation de notre pays, tout comme l’envie de se mobiliser lors des rassemblements qui ont suivi. J’ai par contre beaucoup moins accroché à l’histoire d’amour naissante entre les deux ados et le contexte lycéen. Le côté « jeunesse » m’a empêché de l’apprécier pleinement. Quoi qu’il en soit, il me semble important que la littérature puisse, à son niveau, aider les jeunesse à affronter ce traumatisme.

couv17757761Je  vous sauverai tous, Emilie Frèche

Le deuxième roman est légèrement différent. Bien que relevant de la fiction, il est évidemment inspiré de faits réels et pourrait sans souci être un témoignage. Il raconte le désarroi des parents après le départ de leur fille pour la Syrie, en alternant les points de vue de la mère, du père [j’ai beaucoup moins aimé ces passages plutôt délirants…] et des extraits du journal intime de la fille. Je l’ai trouvé particulièrement éclairant et très pédagogique sur les ressorts de l’embrigadement. Il montre parfaitement comment une adolescente sans histoire,  heureuse dans la vie, peut tomber dans le dijhadisme. La propagande bien huilée des djihadistes est tout bonnement effrayante : usage d’internet et des réseaux sociaux, envoi de vidéos, messages Facebook… Le recruteur élabore une stratégie de séduction, donne l’impression d’une relation exclusive et intime avec la jeune fille, lui fait miroiter la promesse d’une vie parfaite en terre d’islam. Progressivement, il l’écarte de ses amis et de sa famille, l’isole et la rend totalement dépendante. C’est ce que les observateurs appellent une « radicalisation expresse ». Le roman est très touchant dans le combat et la culpabilité de la mère et les conséquences terribles des actes de la fille sur la famille. En parallèle, pour conserver un peu d’espoir, l’auteur évoque les tentatives pour remettre dans le droit chemin les filles sur le point de partir faire le djihad.

Cependant, je dois avouer que j’ai eu du mal à rejoindre le point de vue de la mère sur sa fille. A plusieurs reprises, l’adolescente a eu la possibilité de faire marche arrière mais a continué, et elle semble remplie d’une haine telle que je ne comprendrai jamais. Je ne pourrai pas la considérer comme une « victime » du terrorisme, parce qu’à son tour elle va embrigader d’autres jeunes voire commettre des attentats [et si on commence à raisonner comme ça, où cela commence-t-il ? Qui est à blâmer ?]. D’autant qu’au fond de moi, je n’arrive pas à comprendre comme une personne de 16 ans, équilibrée, plutôt intelligente, pleine de joie de vivre, bien entourée, peut manquer à ce point d’esprit critique et se laisser retourner le cerveau [Je comprends mieux, par exemple, quand il s’agit de quelqu’un de fragile, perdu ou souffrant de problèmes familiaux, à qui on donne tout à coup un rôle, une raison de se battre et une récompense]. Mes 16 ans ne sont pas si loin que ça, et je sais que jamais je ne me serais laissée convaincre par un tel discours (sans parler de la soumission à son « prince »). Bref, il s’agit d’un ressenti personnel qui n’enlève rien à la qualité du roman et à son intérêt didactique, en particulier pour les jeunes. Il rejoint la démarche du site stop-djihadisme qui propose de vous mettre dans la peau d’un adolescent progressivement embrigadé, en vous faisant choisir à chaque étape les décisions à prendre.

couv52744824Vous n’aurez pas ma haine, Antoine Leiris

On rentre véritablement dans le témoignage avec celui-ci. Antoine Leiris a perdu sa femme au Bataclan. Il s’est fait connaître par un message sur Facebook adressé aux terroristes et intitulé « Vous n’aurez pas ma haine ». Autant vous dire que ce très court roman m’a bouleversée. J’ai pleuré tout du long. Je veux toutefois vous avertir que le message politique est loin d’être au cœur du texte, contrairement à ce qu’on aurait pu penser après la médiatisation de la « lettre » de l’auteur. Finalement, il parle très peu du terrorisme. Car pour lui, ce qui compte, ce ne sont pas les circonstances de la mort de son épouse, c’est qu’elle ne soit plus là. Il s’agit surtout d’un témoignage sur le deuil, sur comment il essaye de continuer à vivre, comment il gère son quotidien avec son enfant de 18 mois sans sa femme. C’est une déclaration d’amour, de douleur et de souffrance face au manque. Antoine Leiris sait que son fils grandira sans sa mère mais il veut la garder présente avec eux. Je me suis sentie si triste face à cette injustice qui fait qu’un couple puisse être brisé, qu’une mère d’un petit garçon puisse quitter la maison pour un soir et ne jamais revenir. Je l’ai lu non pas comme le témoignage d’une victime de terrorisme, mais en pensant à toutes les personnes qui perdent un conjoint ou une mère si jeune.

couv35094113Little sister, Benoît Séverac

J’ai trouvé le dernier roman malheureusement un peu faible. Little sister, c’est Léna 16 ans, une jeune fille comme les autres jusqu’à ce que son grand-frère parte faire le djihad en Syrie. Lorsqu’elle apprend qu’il est de retour et qu’il souhaite lui parler, elle garde le secret et convainc ses parents de la laisser partir quelques jours à Cadaquès chez son oncle et sa tante, officiellement en vacances, officieusement pour organiser une entrevue avec l’aide d’un ancien ami d’Ivan. Roman jeunesse dans le même style que Je vous sauverai tous, il reste superficiel. Si l’impact sur la famille (l’incompréhension, le regard des gens, l’ambiance tendue à la maison, les contacts avec les renseignements) est bien montré, les motivations et les ressorts de l’entrée d’Ivan dans le djihadisme ne sont pas explorés. L’histoire peut toucher par l’amour de  cette sœur qui garde toujours l’espoir que son frère ne soit pas coupable et qu’il puisse redevenir celui qu’il était avant. Mais l’ensemble est plutôt plat. L’auteur a intégré une pseudo romance dont on se demande ce qu’elle fait là et qui parait assez déplacée et carrément futile au vu des circonstances. La petite bande de communistes espagnols m’a fait sourire. Cela dit, on ne comprend pas trop ce mélange d’histoires – le djihadisme et le contexte catalan/la résistance sous Franco. Peut-être une sensibilité particulière de l’auteur pour cette région ?

* * *

Malgré cette dernière déception, j’ai trouvé intéressant de voir comment le thème du terrorisme et du djihadisme était traité dans la littérature, notamment jeunesse. Et vous, avez-vous lu des livres sur le sujet ?

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11 réflexions sur “Quatre lectures sur le terrorisme

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  3. « Vous n’aurez pas ma haine » est un témoignage bouleversant. Et je trouve judicieux de la part de son auteur de ne pas avoir vraiment abordé la question du terrorisme. Il montre à sa manière que oui ils n’auront pas sa haine, et que par conséquent ils n’ont rien à faire au coeur de ses écrits.
    Ce livre est un vrai message d’amour.

    Aimé par 1 personne

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