Filles de la mer, Mary Lynn Bracht

Si j’aime les romans historiques, c’est avant tout pour découvrir des pans de l’histoire qui m’étaient inconnus. Grâce aux Filles de la mer, j’ai découvert une partie de l’histoire coréenne pendant la Seconde guerre mondiale et la guerre civile de 1950 à 1953.

Corée, 1943.

Hana a vécu toute sa vie sous l’occupation japonaise. En tant que haenyeo, femme plongeuse en mer, elle jouit sur l’île de Jeju d’une indépendance que peu d’autres Coréennes peuvent encore revendiquer. Jusqu’au jour où Hana sauve sa sœur cadette d’un soldat japonais et se laisse enlever à sa place. Elle devient alors, comme des milliers d’autres Coréennes, une femme de réconfort en Mandchourie.

Comme souvent dans les romans historiques, les chapitres alternent entre passé et présent. Et bien que généralement je me lasse de ce procédé (surtout lorsque la partie à l’époque actuelle apporte peu à l’histoire), ici la construction à deux temporalités apporte une vraie plus-value, parce qu’elle confronte le passé à la Mémoire.

En 1943, Hana est une jeune haeneyo, une femme plongeuse de l’île de Jeju, en Corée, lorsqu’elle est enlevée par un soldat japonais. En 2011, Emi, une vieille dame à la santé fragile, quitte l’île de Jeju pour rendre visite à sa fille et son fils à Séoul. Elle fait face à des souvenirs douloureux, un secret de famille qu’elle a toujours caché à ses enfants. Plus largement, son parcours sera l’occasion d’évoquer le combat actuel dans la société coréenne pour faire vivre le souvenir des « femmes de réconfort » et réclamer réparation au Japon.

On apprend très peu l’histoire du Japon pendant la Seconde guerre mondiale, au lycée. On se focalise beaucoup sur la guerre en Europe et on perd toute une partie de l’histoire de la guerre côté Pacifique. Personnellement, j’ai eu l’opportunité de l’étudier lors de mes études d’histoire à la fac. Et je me souviens avoir été choquée non seulement par la politique expansionniste du Japon et les crimes de guerre commis, mais aussi par le fait que le Japon, contrairement à l’Allemagne, est toujours en proie à des débats historiographiques et des polémiques liées à son refus de reconnaître l’ampleur des crimes commis et de présenter des excuses officielles.

Mary Lynn Bracht soulève précisément cette question et participe, avec son roman, à faire connaître à un grand nombre de lecteurs une histoire trop souvent oubliée.

L’auteure mêle d’ailleurs habilement deux sujets dans son roman.

Il y a d’abord l’histoire des femmes enlevées pour servir d’esclaves sexuelles aux soldats japonais, à travers le récit d’Hana. Un récit éprouvant, révoltant – il faut vous attendre à des passages très durs, avec des scènes de violence et de viols. Enlevée à seize ans, on suit son calvaire, alors qu’elle est emmenée en Mandchourie dans une maison close, dotée d’un nouveau nom japonais comme pour effacer sa personnalité, et contrainte de satisfaire les soldats quotidiennement. Elle doit endurer également les assauts du caporal Morimoto, qui se prend d’obsession pour elle. Le récit est dur mais captivant, car jusqu’au bout on espère qu’elle pourra échapper à ce destin funeste et retourner sur son île natale. Il est frappant aussi car il évoque l’occupation japonaise et illustre la façon dont le Japon, qui a annexé la Corée en 1910, réduit les Coréens à des citoyens inférieurs et tente de faire disparaître la culture coréenne, notamment en interdisant la pratique de la langue.

L’auteure a choisi également de mettre en lumière les haenyeo, une communauté de femmes qui pratiquent la pêche traditionnelle en apnée. Cette pratique, et la culture associée, est tout simplement fascinante, non seulement en raison des capacités physiques incroyables dont elles font preuve, mais aussi parce qu’elle s’accompagne de toute une tradition, avec des rites de passage et des cérémonies en l’honneur des divinités de la mer, et plus largement un mode de vie en harmonie avec le milieu marin. Surtout, puisque cette pratique est réservée aux femmes, que ce sont elles qui font vivre leur famille grâce au fruit de leur pêche, les haenyeo jouissent d’une indépendance et d’un statut particuliers, au sein d’une communauté qu’on pourrait qualifier de matriarcale. Au-delà de la découverte de cette culture atypique, le roman aborde l’enjeu du maintien de l’identité culturelle et la difficulté de faire perdurer les traditions parmi les jeunes générations.

Les filles de la mer m’a donné envie d’en apprendre plus sur les haenyeo, et de découvrir la BD Ama, le souffle des femmes, consacrée à une autre communauté de femmes plongeuses-pêcheuses, les Ama, au Japon.

En bref, un roman historique fondamental pour rendre hommage aux femmes victimes de le Seconde guerre mondiale, faire vivre leur souvenir et nous questionner sur notre rapport au passé.

2 réflexions sur “Filles de la mer, Mary Lynn Bracht

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