Une éducation, Tara Westover

Bonjour à tous !

Je reviens pour vous parler d’une de mes dernières lectures marquantes du printemps, Une éducation.

Je lis assez rarement de la non-fiction, et d’ailleurs, quand j’ai ouvert ce livre, je pensais qu’il s’agissait d’un roman. En réalité, l’histoire est bien celle de l’auteure, ce qui la rend d’autant plus frappante.

Enfant, Tara Westover n’a jamais fréquenté l’école, ni vu de médecins, ni même été déclarée à l’administration parce que son père, mormon, ne croyait ni en la Médecine officielle ni en l’école publique, orchestrée par le diable. Il attendait la Fin des temps. Alors que son père s’enferme dans ses convictions survivalistes et radicales et qu’un de ses frères cède à la violence, Tara décide à seize ans de prendre son destin en main et de s’éduquer toute seule. Sa détermination l’éloignera de ceux qu’elle aime et l’emmènera au-delà des océans, d’Harvard à Cambridge sans qu’elle ne cesse de s’interroger. Quel est le prix à payer quand la loyauté envers sa famille entre en conflit avec la loyauté envers soi-même ?

Une éducation raconte le cheminement d’une jeune femme pour se détacher d’un environnement familial toxique et violent, et rompre avec l’endoctrinement.

L’auteure parvient à nous immerger dans son quotidien, à nous faire vivre ce que c’est que de grandir au sein d’une famille mormone, survivaliste, vivant à l’écart du monde moderne, se méfiant des institutions.

Tara n’a jamais eu d’acte de naissance. Elle n’a jamais eu de dossier scolaire, n’a jamais été à l’école, n’a pas de dossier médical. Pour les institutions, elle n’existe pas. Le père va jusqu’à mettre en danger la vie de ses enfants en refusant des médicaments et des soins à l’hôpital. J’ai été particulièrement frappée de constater que de telles pratiques existaient encore au XXIème siècle…

On comprend rapidement qu’outre l’embrigadement idéologique lié à l’appartenance à une secte, le rejet total de tout ce qui relève de l’Etat renforce la dépendance de Tara à l’égard de sa famille. Parce que toute démarche administrative, sociale, scolaire ou professionnelle, qui permettrait d’élaborer des projets et de préparer son départ, devient compliquée. Et aussi parce qu’une fois sortie de son environnement, elle se sent en décalage avec le monde qui l’entoure, dont elle ignore les codes et ne partage pas les références. Elle relate son propre étonnement de constater, y compris des années plus tard, sa difficulté à se détacher des principes moraux qu’on lui a inculqués et à s’adapter à la vie sociale pour être une étudiante, une jeune femme normale. Son enfance va ainsi marquer durablement ses relations sociales et sa perception de l’Etat dans ce qu’il peut avoir de positif (bénéficier d’aides publiques, de consultations de soins etc).

Son témoignage comporte des passages vraiment durs, d’une famille abusive dans laquelle les frères sont parfois solidaires voire auteurs des violences, et où les autres membres de la famille ne réagissent ni ne s’opposent. La perversité du père, enfermé dans sa paranoïa et son fondamentalisme religieux, est proprement terrible car son comportement manipulateur, et même maladif, repose sur l’affect et la fidélité familiale.

Un des aspects intéressants du livre réside d’ailleurs dans le conflit de loyauté que la jeune femme ressent. Si elle est consciente des dérives de sa famille, si elle s’en détache progressivement pour sa propre survie et son épanouissement personnel, elle garde en elle un attachement envers ses parents et ses frères et sœurs. Mais en sortant de sa communauté, en prenant conscience du monde qui existe autour d’elle, en rejetant un certain nombre de principes que les Mormons soutiennent, en adoptant des pratiques qu’ils rejettent, inexorablement elle s’éloigne d’eux, jusqu’à atteindre le point de non-retour. Elle se confronte alors à un dilemme : comment garder malgré tout un lien avec les siens ? C’est un déchirement de considérer que sa famille ne peut l’accepter que si elle se conforme à leurs préceptes, et que sa construction d’elle-même, en tant que personne émancipée, libre, ne semble pouvoir se réaliser que par la rupture avec les siens.

Le récit de Tara Westover constitue une bonne illustration du rôle de l’éducation, et notamment de l’école, comme vecteur d’émancipation et de lutte contre obscurantisme. Grâce à la voie ouverte par son frère qui demande à aller à l’université, Tara développe la curiosité et l’envie de fréquenter l’école publique. Elle commence alors son instruction seule, avec quelques livres, pendant le temps où elle réussit à échapper aux travaux de ferraille que son père la force à faire. Pourtant, son courage et sa persévérance finissent par payer : le jour où elle décide de tenter les tests d’admission à l’université va changer sa vie. Son éducation sera son issue de secours.

En bref, Tara Westover nous livre un récit fort et prenant, souvent révoltant. On perçoit le travail d’introspection mené par l’auteure, à la fois dans son cheminement personnel, mais aussi dans l’écriture du livre qui l’a conduite à s’interroger sur ses souvenirs, sa perception de la réalité et la psychologie de ses proches.

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