Americanah, Chimamanda Ngozi Adichie

couv44240624.jpg«En descendant de l’avion à Lagos, j’ai eu l’impression d’avoir cessé d’être noire.»

Ifemelu quitte le Nigeria pour aller faire ses études à Philadelphie. Elle laisse derrière elle son grand amour, Obinze, éternel admirateur de l’Amérique, qui compte bien la rejoindre. Mais comment rester soi lorsqu’on change de pays, et lorsque la couleur de votre peau prend un sens et une importance que vous ne lui aviez jamais donnés?

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L’auteur nigériane Chimamanda Ngozi Adichie fait beaucoup parler d’elle en ce moment, que ce soit pour ses romans ou ses essais féministes. J’ai eu envie de découvrir à mon tour ce petit phénomène. Et je ne suis pas déçue !

Americanah, c’est avant tout le terrible tableau des difficultés et des désillusions de l’immigration. Le récit, dynamique, alterne l’enfance et l’adolescence d’Ifemelu au Nigéria et son présent aux Etats-Unis. Il traite en particulier de la pauvreté, de la difficulté de trouver du travail et d’obtenir des papiers, des relations ambigues avec ceux restés au pays et qu’on ne veut pas décevoir. Surtout, il aborde la question de l’identité et du statut d’une immigrée africaine aux Etats-Unis. Ifemelu, comme les autres nigérianes venues aux Etats-Unis, cherche d’abord à tout faire pour ressembler à une Américaine. Mais elle va progressivement se rendre compte qu’elle est en train de se trahir et réalise à quel point c’est navrant de considérer que, pour s’épanouir, il faut abandonner son identité africaine pour devenir une vraie « Americanah » : adopter le mode de vie et le comportement américain,  imiter le parlé américain, dissimuler son accent, se lisser les cheveux…

Ifemelu souffre également d’être en porte-à-faux entre deux pays parce qu’elle se sent différente des gens de son pays d’origine tout en n’étant pas vraiment Américaine. La dernière partie du roman décrit le retour délicat d’Ifemelu à Lagos, et toujours la même difficulté de trouver sa place, surtout dans un pays qu’elle a quitté depuis tant d’années et qu’elle observe maintenant avec un regard beaucoup plus critique. Elle a l’impression que tout a changé depuis son départ et craint que son expérience américaine ne la rende exigeante et condescendante, en somme qu’elle ne puisse plus redevenir la Nigériane qu’elle était auparavant. La vie d’Obinze, elle, fait réfléchir sur la place de l’argent et les choix accommodants qui ne mènent pas forcément au bonheur.

J’ai noté quelques longueurs dans ce petit pavé, d’autant que certains passages n’apportent pas grand chose et auraient mérité d’être raccourcis ou éludés. Mais ils sont cohérents avec l’ambition de l’auteur de livrer des tranches de vie d’une immigrée africaine aux Etats-Unis. Fait appréciable, le roman laisse aussi la place aux différentes relations amoureuses d’Ifemelu et à son histoire tristement interrompue avec Obinze. Sa relation avec son fiancé nigérian est incroyablement touchante. C’est l’histoire malheureusement banale d’un couple de jeunes amoureux séparés au moment du départ de la jeune femme pour les Etats-Unis et qui promet de se retrouver ; mais la vie ne se passe pas toujours comme on le souhaite et les évènements les éloignent sans qu’ils ne sachent vraiment comment cela s’est produit. On quitte d’ailleurs régulièrement le point de vue d’Ifemelu pour avoir celui d’Obinze et, même si je l’ai trouvé moins prenant, c’est intéressant de voir les expériences qu’il a vécues et ce qu’il est devenu de son côté.

J’ai aimé le récit brut, réaliste, de la destinée d’Ifemelu : l’auteur nous raconte une histoire qui aurait pu arriver à d’autres, sans céder à la facilité et au happy end. Le roman comporte une foule de personnages, parfois un peu délicats à situer, qui permet cependant de retracer la diversité des destins, des caractères et des comportements, et de donner une idée globale de la vie au Nigéria et aux Etats-Unis.

Adichie signe ici un roman engagé derrière lequel transparait son vécu et ses convictions, ce qui en fait une lecture appréciable à deux niveaux, celui de la fiction (à travers l’histoire des personnages) et celui de l’analyse sociologique. Elle porte une vision très critique de la société américaine et de l’importance persistante de la notion de race. Je me suis tout de suite attachée au personnage d’Ifemelu, j’ai aimé le ton qu’elle emploie, son impertinence, le fait qu’elle n’hésite pas à dire les vérités dures à entendre, à se moquer, à critiquer. En tant que blogueuse, je me suis prise d’affection pour elle à partir du moment où elle débute un blog sur lequel elle raconte des anecdotes sur son expérience en tant que Noire africaine aux Etats-Unis. Les extraits glissés dans le roman comportent des réflexions vraiment intéressantes sur la question de la race et les différences entre un Afro-Américain et un Africain immigré aux Etats-Unis. Le roman témoigne ainsi des discriminations et des préjugés à l’encontre de l’Afrique.

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En bref, un roman choc, émouvant et intelligent, sur la destinée d’une immigrée nigériane aux Etats-Unis, doté de réflexions approfondies sur la place de la race dans nos sociétés et sur l’Afrique contemporaine.

Verdict Coup de coeur

17 réflexions sur “Americanah, Chimamanda Ngozi Adichie

  1. Tu parles très bien de ce roman! J’avais passé un excellent moment et les quelques longueurs ne m’avaient pas vraiment dérangé, tellement je trouvais les thèmes abordés passionnants. Et c’est vrai que le couple est assez touchant.

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  2. J’ai lu ce roman très récemment, et je l’ai aussi beaucoup aimé! Comme toi, j’ai un peu moins accroché aux passages concernant Obinze, il m’a fallu du temps pour m’attacher à lui. Dans l’ensemble, mes parties préférées sont celles sur Ifemelu aux Etats-Unis, je trouve que l’auteure y mène des réflexions vraiment passionnantes.

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  9. J’ai également beaucoup aimé ce roman, que j’ai lu deux fois à quelques années d’intervalle – c’est d’ailleurs cette relecture qui m’a incitée à me lancer dans mon blog littéraire (!) donc je suis très contente d’avoir pris le temps de relire ce pavé. Pour moi, il n’y a aucune longueur, j’ai avalé les mots d’Adichie. Et j’ai hâte de lire son prochain ouvrage.

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