[Ceci est ma toute première chronique sur le blog !]
Une bonne surprise que ce livre de Dai Sijie, car, soyons honnête, quiconque n’est pas un admirateur inconditionnel de Balzac ou intéressé par l’histoire chinoise du XXème siècle n’aurait pas forcément été attiré par cette œuvre.
Je la connaissais personnellement depuis quelques années, depuis qu’un membre de ma famille l’avait étudié pour le bac (non non, ne soyez pas rebutés par cette simple évocation), avant de franchir le pas. Le titre en lui-même m’avait intrigué – et avait donc déjà gagné son pari : pourquoi Balzac et une tailleuse chinoise ? Je n’avais aucune idée de l’intrigue mais j’avais décidé de le lire. Au moment de retourner le livre pour étudier la quatrième de couverture, je fus aussi intéressée par l’intrigue puisque j’avais étudié le maoïsme et j’avais entre les mains un témoignage vivant d’adolescents ayant vécu la Révolution culturelle.
« Imaginez un jeune puceau de dix-neuf ans, qui somnolait encore dans les limbes de l’adolescence, et n’avait jamais connu que les bla-bla révolutionnaires sur le patriotisme, le communisme, l’idéologie et la propagande. Brusquement, comme un intrus, ce petit livre me parlait de l’éveil du désir, des élans, des pulsions, de l’amour, de toutes ces choses sur lesquelles le monde était, pour moi, jusqu’alors demeuré muet. »
Suivre Luo et le narrateur, deux adolescents exilés dans un village de montagne isolé pour y être « rééduqués », nous tient en alerte tout au long des courtes 150 pages. On a là un récit vivant, raconté à la première personne, ponctué du ressenti du personnage et d’épisodes de sa vie quotidienne, avec une trame de fond en fil rouge (une mystérieuse valise et une rencontre humaine). Il est d’autant plus touchant qu’on ressent derrière le narrateur le vécu de l’auteur, lui-même envoyé dans un village à 17 ans. Le quotidien de Luo et de son ami, si différent de celui d’adolescents de notre âge, garde notre curiosité en éveil et nous donne un aperçu de ce qu’était la Chine à cette époque pour les jeunes « intellectuels » envoyés dans les campagnes.
Mais je voudrais parler de Balzac et la petite tailleuse chinoise au-delà du témoignage historique ou de la critique politique, pour vous montrer que c’est un livre qui peut intéresser tout le monde. Pourquoi ? Parce qu’il parle de littérature. A travers le récit de l’expérience des deux adolescents, l’auteur nous fait prendre conscience de la chance que constitue le fait d’avoir un accès libre à la culture. C’est précisément quand lire nous est interdit qu’on réalise la valeur de la littérature, et même son pouvoir.
« C’était pour moi le livre rêvé : une fois que vous l’aviez fini, ni votre sacrée vie ni votre sacré monde n’étaient plus les mêmes qu’avant. »
Loin de l’idée qui circule parfois selon laquelle la littérature est futile et inutile, Luo et son ami nous démontrent qu’elle leur permet de s’évader, de rêver d’ailleurs quand ils sont coincés au milieu de paysans des montagnes, de reprendre espoir alors qu’ils risquent de devoir se tuer à la tâche dans les champs ou les mines toute leur vie, de découvrir le monde par procuration (et notamment le sentiment amoureux) et de s’ouvrir l’esprit.
C’est formidable de voir le personnage principal s’émerveiller, s’enthousiasmer comme on ne voit plus aucun Français le faire autour de soi, à la manière d’un enfant qui apprendrait à lire ou d’un homme qui découvrirait un pouvoir magique. Cela nous rappelle également que la littérature c’est aussi l’oral, un plaisir partagé, une histoire racontée, jouée, rendue vivante (ici par Luo) pour la faire découvrir aux autres.
« Avec ces livres, je vais transformer la Petite Tailleuse. Elle ne sera plus jamais une simple montagnarde. »
L’auteur va plus loin : la méfiance du régime maoïste (qui est celle de tous les régimes autoritaires) est une preuve en soi que la littérature peut être un danger en ce qu’elle libère l’esprit et qu’elle a un certain pouvoir de changer les hommes, ainsi que le montre d’une certaine façon la fin du roman. Cette fin, aussi brusque qu’inattendue, m’a laissée sur ma faim : elle ne m’a pas semblée appropriée, et c’est le bémol que je mettrai à ce livre.
Je ne parle volontairement pas du personnage de la Petite Tailleuse, que je vous laisse tout le plaisir de découvrir à votre prochaine lecture…
Littérature (la vraie – celle qui ouvre des horizons) et Révolution ne riment pas souvent ensemble… Par contre Amour rime avec ces deux mots, mais aussi avec tous les autres. Si Mao avait eu le Petit Prince dans sa bibliothèque (ou Balzac après tout), il aurait su que l’essentiel est invisible pour les yeux, car on ne voit bien qu’avec le coeur. Luo et la petite tailleuse ont ainsi pu mener leur propre petite révolution… par le coeur…
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C’est ce qui nous permet de dire que certains voient mieux que d’autres… Car la question que pose Dai Sijie à ses personnages est quel choix de vie choisir et que sacrifier pour lui…
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c’est mon prof de français quand j’étais au lycée qui m’a fait découvrir ce livre et j’avais adoré. C’est de la belle littérature qui fait réfléchir et fait voir les choses différemment !
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J’ai beaucoup aimé ce roman, véritable ode à la littérature et dont les personnages sont très attachants. Un film magnifique a été adapté à partir de ce roman.
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Je n’étais pas au courant pour le film ! Il faudrait que je le voie 🙂
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Pas plus accroché que ça à ce roman. Il faut dire que je suis souvent déçu par les romans qui parlent de la lecture, le sujet est souvent sous-exploité et c’est encore le cas ici.
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Dommage ! Je comprends ton ressenti, c’est assez frustrant quand on sent que l’auteur ne va pas au bout des choses.
J’avais justement écrit un article sur les romans autour des livres, peut-être que tu y trouveras plus d’inspiration ! : https://petiteplumeblog.wordpress.com/2017/03/11/a-la-recherche-1/
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Ah, intéressant cette thématique, je prends note alors 🙂
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