De si bons amis, Joyce Maynard

Je ne suis pas en avance pour vous parler de ce livre lu l’été dernier… Mais je me rends compte que je l’ai encore bien en tête…preuve qu’une bonne lecture est une lecture qui marque !

A première vue, le sujet du roman ne me disait trop rien. Je cherchais un roman de Joyce Maynard après mon coup de cœur pour Les règles d’usage, et seul celui-ci était disponible à la librairie. J’ai décidé de faire confiance à l’auteure….et j’ai bien fait !

Divorcée, Helen a perdu la garde de son fils pour conduite en état d’ébriété. Depuis, elle cumule les petits boulots pour joindre les deux bouts. Un bien triste tableau à l’aube de la quarantaine. Jusqu’au jour où son chemin croise celui d’Ava et de Swift Havilland. La soixantaine rayonnante, ils sont généreux, brillants, délicieusement excentriques et – chose extraordinaire – semblent désireux de faire entrer Helen dans leur cercle intime ! Très vite, ils deviendront ses meilleurs amis mais aussi ses employeurs, et surtout la famille qu’elle n’a jamais eue, grâce à laquelle elle pourrait bientôt récupérer son fils. Mais de la bienveillance au paternalisme le plus pervers, il n’y a qu’un pas. Peu à peu, le couple tisse sa toile machiavélique…

De si bons amis est le récit d’une amitié toxique, un thème assez rarement traité en littérature. Joyce Maynard décortique les mécanismes d’une relation amicale déséquilibrée qui finit par devenir malsaine.

Lorsque le roman s’ouvre, on sait d’emblée que cela va mal finir. Les personnages ont perdu contact, la fin du règne des Havilland a sonné. Helen, la narratrice, revient alors sur l’histoire de cette amitié passée, de la rencontre à la rupture.

Même si l’on en connait l’issue, le suspens plane tout au long du roman puisqu’on ignore la cause de l’échec de leur amitié. Joyce Maynard crée une ambiance pesante. Comme dans un thriller, on ressent un malaise, on perçoit qu’il y a quelque chose d’anormal et qu’une catastrophe se prépare. Le lecteur s’aperçoit bien avant le personnage du caractère malsain de la relation. C’est en cela, je trouve, que l’auteure a parfaitement construit son histoire. On assiste impuissant à l’engagement d’Helen dans cette relation, à son aveuglement et à l’installation de l’emprise. On voudrait lui dire de se méfier, de prendre du recul, d’écouter les conseils de ses proches, mais on ne peut rien faire.

A l’image d’une relation amoureuse avec un pervers narcissique, l’auteure pose les jalons d’une amitié toxique et nous montre le glissement progressif vers l’emprise. Au début c’est à peine perceptible, et cela devient de plus en plus insidieux, dérangeant.

La relation est suspecte dès le départ car les personnages n’auraient jamais dû se rencontrer. Ils font connaissance dans une galerie d’art, lors du vernissage d’une exposition. Helen est serveuse en extra pour le traiteur, les Havilland font partie des visiteurs huppés. Au grand étonnement d’Helen, Ava lui adresse la parole et se met à lui poser des questions sur sa vie, pour finir par l’inviter chez elle. Il y a, dans cette première conversation, quel que chose de tout suite intrusif, qui laisse présager le tournant que vont prendre leurs rapports. Ava se donne d’emblée pour mission de l’aider à résoudre ses problèmes et de « lui procurer une vraie vie ». Helen, quant à elle, est irrésistiblement attirée par cette femme, à qui elle ne peut s’empêcher de livrer des détails personnels de sa vie.

On comprend rapidement que la relation est trop déséquilibrée pour fonctionner, évidemment en raison de leur différence de statut social, mais aussi dans la façon dont la relation est appréhendée. Helen peine à croire que des gens comme les Havilland s’intéressent à elles et veuillent faire sa connaissance. Elle se sent reconnaissante d’être admise dans leur cercle intime, reconnaissante aussi pour l’aide matérielle qu’ils lui apportent. Du côté des Havilland, l’approche semble totalement désintéressée. Helen est fascinée par le couple de sexagénaires : Swift, l’homme d’affaires retraité, avec son gros rire, son extravagance, son exubérance de bon vivant, son appétit sexuel insatiable ; Ava, en fauteuil roulant mais que son handicap ne semble pas freiner, et sa drôle de passion pour les chiens. Ils sont l’image même du couple fusionnel, inséparable, complice. Leur richesse, leur connivence, leur intimité, tout lui parait incroyable. Ils sont tout ce qu’elle ne sera jamais, et à travers eux elle peut mener une existence qu’elle n’aurait jamais pu espérer. Ils lui donnent un sentiment d’importance.

Il faut dire qu’Helen est au plus bas. Son mariage s’est soldé par un échec, elle s’est retrouvée seule à noyer son chagrin dans l’alcool, jusqu’à perdre la garde de son fils. Son activité de photographe ne lui rapporte pas assez pour vivre et elle est contrainte de cumuler des petits boulots. C’est bien une caractéristique des personnalités dominatrices que de cibler les personnes vulnérables, les plus isolées, celles dont l’estime est au plus bas, qui sont le plus dans le besoin, et sur lesquelles il sera d’autant plus aisé d’exercer une influence. Et c’est exactement ce qu’il se passe puisqu’Helen va s’ouvrir à eux sans s’imaginer que cela puisse se retourner contre elle.

Cela commence par des petites attentions, des cadeaux qui n’en ont pas l’air, des invitations régulières à dîner. Mais peu à peu la relation devient de plus en plus exclusive. Les Havilland ne prennent plus la peine de lui demander si elle disponible, cela va de soi. Qu’aurait-elle de mieux à faire ? Après tout, c’est auprès d’eux, de leur personnalité affable, de leur cadre de vie luxueux, qu’elle pourra goûter aux expériences les plus extraordinaires. Alors, inexorablement, Helen commence à passer de plus en plus de temps chez les Havilland, à se couper de ses autres relations – en somme, à ne plus exister en dehors d’eux.

L’influence des Havilland sur Helen se fait de plus en plus prégnante. Au départ, ce ne sont que des conseils pour l’aider à s’en sortir. Un ensemble de petites choses qui, prises séparément, n’auraient guère d’importance. Des vêtements offerts car ce style lui sied mieux, des opinions sur les personnes qu’elle fréquente, des recommandations sur les opportunités à saisir. Bien sûr, ils n’ont qu’un objectif : son bonheur et sa réussite personnelle, sociale, professionnelle. Ils prennent les choses en main pour lui procurer la vie qu’elle mérite. S’ils émettent des critiques, c’est qu’ils savent mieux qu’elle ce qui est bien. Mais la frontière est ténue entre envie d’aider et volonté de contrôle, entre générosité et paternalisme, entre recommandations et directives.

Une fois l’emprise installée, il est extrêmement difficile de s’en défaire. Helen devient dépendante d’eux pour tous les aspects de sa vie : son emploi, ses relations sociales, son fils. L’emprise est également psychologique, puisqu’Helen refuse toute critique à leur égard. Elle ferme les yeux sur leurs défauts, leur trouve des excuses. Après tout, leur extravagance n’est-elle pas ce qui fait leur charme ? Et puis, avec tout ce qu’ils ont fait pour elle, elle leur est redevable, elle ne se sent pas le droit de se plaindre.

Je ne vous en dirai pas plus pour ne pas vous gâcher votre lecture. Tout ça pour dire qu’on sent que c’est trop beau pour être vrai. Que derrière la philanthropie, la convivialité, la gentillesse, il y a des intérêts en jeu, des égos à satisfaire, une jouissance de l’exercice du pouvoir, et sans doute une façon de se nourrir des échecs des autres, de rayonner au milieu de personnes moins riches, moins prestigieuses, moins heureuses. A mesure que l’illusion s’efface, on va découvrir que sous la surface se cachent des choses pas belles à voir. Et au final, on comprend qu’Helen n’a jamais été et ne sera jamais des leurs.

Vous l’aurez compris, j’ai été séduite par la plume de Joyce Maynard, son habileté à installer un malaise et à entretenir le suspens. Avec une analyse fine de la psychologie des personnages, elle met en lumière tous les mécanismes de l’emprise : vulnérabilité, dévalorisation, dépendance, domination. Derrière ce couple que l’on nous présente comme un modèle de succès, on devine des personnes de pouvoir jouissant de leur ascendant sur les autres et habituées à obtenir ce qu’elles veulent, au détriment de la liberté de penser et d’agir de leurs victimes.

4 réflexions sur “De si bons amis, Joyce Maynard

Laisser un commentaire