Chanson douce, Leïla Slimani

couv24823970.jpg Lorsque Myriam, mère de deux jeunes enfants, décide malgré les réticences de son mari de reprendre son activité au sein d’un cabinet d’avocats, le couple se met à la recherche d’une nounou. Après un casting sévère, ils engagent Louise, qui conquiert très vite l’affection des enfants et occupe progressivement une place centrale dans le foyer. Peu à peu le piège de la dépendance mutuelle va se refermer, jusqu’au drame.

* * *

Entre deux quintes de toux et un Doliprane, j’émerge pour vous parler de Chanson douce, Prix Goncourt 2016 qui a révélé Leïla Slimani. Comme à mon habitude, j’ai voulu laisser passer un peu de temps avant de découvrir ce roman qui a tant fait parler.

Et mon opinion rejoindra finalement la grande majorité des avis. C’est un roman très particulier, brutal et glaçant, à l’image de sa première phrase : « Le bébé est mort ». L’auteur joue de ce ton froid et percutant, et choisit de choquer avec un drame atroce pour aborder la question de l’éducation et des rapports de classe.

Myriam est une mère dépassée par sa maternité. Elle étouffe depuis la naissance de son deuxième enfant et aspire à redevenir la femme brillante qu’elle était avant, à retrouver son existence sociale, susciter de nouveau l’admiration des autres et de son mari. La reprise des ses activités d’avocate, la sur-implication dans le travail avec des horaires de plus en plus tardif, s’apparentent à une fuite du foyer et constituent le premier élément de l’engrenage. C’est parce que les parents ont quelque part délégué leur rôle et laissé l’espace libre que Louise va prendre une place de plus en plus grande. A ce sujet, le parti pris de l’auteur m’a mise un peu mal à l’aise. Il y a une critique, que je partage, sur l’absence des parents qui se focalisent sur leur carrière et ne voient jamais leurs enfants. Et en même, derrière je trouve que le risque est de culpabiliser les mères qui travaillent et ne se consacrent pas exclusivement à la maternité.

Pour en revenir à l’intrigue, Louise est, au départ, la nourrice (trop) parfaite : dévouée, à l’aise avec les enfants, bonne cuisinière, toujours prête à rendre service. Pourtant dès le début, on sent qu’il y a un problème. J’ai trouvé son personnage terrifiant et terriblement malsain. C’est une femme solitaire et silencieuse, qui vit dans un misérable appartement, douce et en même temps exigeante, obsédée par la propreté et l’anti-gaspillage, frêle mais dotée d’une force étonnante. Elle vit sans relation sociale et s’enferme dans sa bulle, dans son délire psychologique où il n’y a plus de distinction entre travail et vie personnelle. Peu à peu, elle devient un membre de la famille, arrive de plus en plus tôt et repart de plus en plus tard, fait de leur maison son chez soi. L’auteure décrit parfaitement la façon insidieuse dont elle s’immisce dans le quotidien et l’intimité de la famille, et finalement s’impose jusqu’à presque prendre la place des parents et devenir la véritable maîtresse de maison. Sa volonté de contrôle devient inquiétante à mesure qu’on sent pointer la jalousie à l’égard du couple et la prétention à décider pour les enfants.

Bien qu’on connaisse l’issue dès le départ, le récit nous happe. L’auteur maîtrise parfaitement son genre. Notre curiosité peu avouable nous pousse à tourner les pages pour connaitre les ressorts du drame. On sent monter les tensions, on ressent un malaise de plus en plus perceptible. Impossible de dire exactement quand les choses basculent. On peut a posteriori suivre l’évolution du comportement de Louise, ses troubles psychologiques qui prennent le dessus et le renforcement de son ressentiment à l’égard de la famille, tous les signes que les parents n’ont pas su voir, les fautes commises, les comportements déplacés. Et en même temps, le drame parait très soudain et inexplicable.

Leïla Slimani a particulièrement mis en avant le caractère social de son roman. Elle fait de la situation de Louise une illustration de la lutte des classes : d’un côté une femme seule, en difficulté, étranglée par les dettes, dans un appartement délabré de banlieue ; de l’autre un couple de petits bourgeois parisiens qui, même s’ils se refusent à le penser, la traitent plus ou moins comme une domestique. L’explication sociale du drame prendrait alors presque le pas sur l’explication psychologique. J’ai eu un peu de mal avec ça. Bien sûr, il y a de la maladresse dans le comportement du couple et une certaine lâcheté à fermer les yeux sur le fait que l’implication de Louise les arrange bien, même si elle n’est pas très claire. Et en même temps, c’est Louise qui impulse dès l’origine la situation, en montrant un dévouement excessif, qu’ils n’exigeaient pas, en anticipant leurs désirs, en s’octroyant le rôle que son esprit malade réclame. Pour moi, Louise reste coupable et on ne peut pas accabler les parents.

* * *

En bref, un roman choc, dérangeant et prenant, dans le genre du drame psychologique. Même si je n’ai pas forcément adhéré aux messages que Leïla Slimani cherche à faire passer, je salue l’audace de son roman et son talent d’écrivaine. 

Verdict Un bon moment

 

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8 réflexions sur “Chanson douce, Leïla Slimani

  1. C’est vrai que c’est le côté « voyeur » qui m’a freiné pour découvrir ce roman ! Mais il ne cesse tout de même de m’intriguer, je finirais peut être par sauter le pas ^^
    Je comprends ta division sur les sujets, en tous cas merci ta chronique m’a beaucoup plu ! =)

    Aimé par 1 personne

  2. Pingback: C’est l’heure du bilan ! [mars 2019] |

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