Nous les déviants, C.J. Skuse

Quand Ella Newhall avait seize ans, elle appartenait à une bande qui s’était donné le nom des « Cinq sans peur ». Max, Corey, Fallon, Zane et elle passaient leurs vacances à faire du vélo, explorer l’île de la baie et frissonner en écoutant les histoires terrifiantes que leur racontait Jessica, la sœur aînée de Max. Ils ne le savaient pas, mais c’était la plus belle époque de leur vie. Et puis Jessica est morte, renversée par un bus qui roulait trop vite. Quatre ans plus tard, Max est devenu un fils à papa fainéant et camé. Corey déprime dans son coin, prisonnier de ses pensées morbides. Fallon est enceinte de huit mois, à la suite d’une aventure d’un soir. Et Zane est devenu le voyou du coin. Ella, à présent plus connue sous le surnom « le Volcan », poursuit sous les encouragements de la presse locale le rêve d’une médaille olympique sur les pistes de course.

Je n’ai pas pour habitude de parler de l’éditeur dans mes chroniques, mais ici je trouve qu’il s’agit d’un marqueur déterminant de ce que vous allez trouver dans ce roman.

Il y a quelques années, j’avais entendu parler des éditions La Belle Colère, qui avaient piqué ma curiosité. Label éditorial spécialisé dans la littérature adulte dont les héros sont des adolescents, ils ont publié une quinzaine de titres entre 2014 et 2020. D’ailleurs, je crois qu’il n’existe plus aujourd’hui. Reconnaissable à leur couverture grise sur laquelle se détache le titre dans une police particulière, c’est surtout leurs thématiques fortes, souvent dures, qui les caractérisent. La présentation par l’éditeur lui-même est particulièrement éclairante : La belle colère c’est des romans peuplés d’ados, bruts, pleins de bruit, de fureur, de tensions sexuelles, de questions, de vertiges, de non-dits, de peurs et de folies, sur le fil, des livres qui luttent contre le blizzard. L’adolescence est un âge de bruit et de fureur, de violence et de sexe, d’exaltation et de dépression, d’amour et de colère. 

Vous verrez que Nous les déviants répond tout à fait à cette définition.

Après l’accident tragique qui a coûté la vie à leur amie et sœur Jessica, Ella, Max, Corey, Fallon et Zane se sont plus ou moins perdus de vue. Il est loin le temps où ils formaient une joyeuse bande inséparable.

Depuis, tous ont connu des épreuves et traversent une période difficile : Ella est rongée par un évènement traumatisant qu’elle cache à ses amis et qui pourrait mettre en péril sa relation avec Max ; Max est toujours profondément marqué par la mort de sa sœur ; Corey subit du harcèlement à cause de son handicap ; Zane est devenu un petit voyou ; Fallon vit isolée avec sa mère, dans une situation précaire, alimentant les rumeurs et les brimades des voisins.

La mort de Jessica les a séparés, mais aucun n’a réussi à mettre ce drame derrière eux, comme si tout n’avait pas été dit ni résolu entre eux, à commencer par les raisons de cet accident, dont certains disent qu’il s’agirait d’un suicide. Ils restent liés par les souvenirs d’un passé heureux et insouciant, et aussi par la volonté de prendre leur revanche. C’est ce qui va les réunir.

Le roman est centré sur le personnage d’Ella, une coureuse prometteuse qui s’entraine pour les qualifications aux Jeux Olympiques, mais est en proie à des sentiments contradictoires et un traumatisme qu’elle tente de refouler mais qui risque de la submerger.

Ella comme les autres personnages sont complexes, ni parfaits ni totalement détestables. Une partie de leur comportement nous parait condamnable. Pourtant, ce sont avant tout des adolescents, en prise avec des émotions fortes, guidés par l’impulsivité, la colère et la révolte. Il y a toutes ces choses enfouies en eux qui ne demandent qu’à sortir. Et pour Ella, cela va passer par la vengeance : contre leur ancien ami qui s’en prend à Corey, contre les jeunes voisins qui font du chantage à Fallon, enfin et surtout contre le responsable de ses souffrances. La jeune fille entraine alors les autres dans un cycle de vendetta.

Le résumé met l’accent sur la vengeance – j’ai plutôt envie de mettre en avant l’amitié et leur désir de renouveau, d’avoir une deuxième chance, de retrouver un bonheur perdu. Ils vont se relever ensemble, avec l’envie de se libérer du drame du passé et de leur souffrance, et essayer de se reconstruire des perspectives d’avenir. Pour cela, de manière presque cathartique, ils ont besoin de rouvrir les plaies et de boucler la boucle. L’engrenage de la vengeance est lancé. Les premières actions de représailles leur procurent un tel sentiment de jouissance, de libération, de victoire et de puissance, qu’il ne peuvent plus s’arrêter. Et dès lors que les vannes sont ouvertes, que les secrets ont commencé à être déterrés, la mécanique s’emballe, allant crescendo jusqu’au dénouement.

Nous les déviants raconte finalement la dure découverte de l’âge adulte, en comparaison avec la douceur et l’insouciance de l’enfance. Le roman est loin d’être sombre, il y a de la tendresse malgré la violence et la dureté des sujets abordés. C.J. Skuse nous livre une histoire forte, faite d’amitié, de blessures et de secrets, un roman prenant qui fait monter la tension au fil des pages. Seul bémol, je n’ai pas été convaincue par le twist final qui m’a semblé un peu étrange.

Entre le thriller et le roman d’apprentissage, C.J. Skuse raconte, d’une écriture percutante, la quête de revanche et de libération d’un groupe d’amis marqués par un drame.

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