Le chemin de sel, Raynor Winn

J’ai d’abord flashé sur la couverture magnifique de ce roman avant d’être définitivement convaincue par le résumé. Je l’ai été d’autant plus quand j’ai réalisé qu’il ne s’agissait pas d’une fiction mais de l’histoire personnelle de l’auteure et de son mari.

Entraînés malgré eux dans les déboires financiers d’un de leurs amis et victimes du système judiciaire, Raynor et Moth perdent brutalement leur maison et se retrouvent à la rue. Comme si cela ne suffisait pas, ils apprennent que Moth est atteint d’une maladie dégénérative incurable qui ne lui laisse que peu de temps.

Refusant ce diagnostic implacable et puisqu’ils n’ont plus de foyer, le couple d’une cinquantaine d’années se met en route. Ils vont parcourir à pied le South West Coast Path, le sentier côtier des Cornouailles de bout en bout, soit plus de 1000 km. Une façon de retrouver un objectif, un horizon.

Et si cette décision n’a rien de rationnel ni de raisonnable, avec la faiblesse de Moth qui ne devrait qu’empirer au fil des semaines, leur manque d’entraînement et leur condition physique, ils veulent croire que c’est possible. Ils vont alors se raccrocher à ce chemin, vivant au jour le jour, absorbés par ce quotidien atypique de randonneurs-SDF, comme pour ne pas penser à ce qui viendra après, là où rien ne les attend.

L’histoire de Ray et Moth m’a beaucoup touchée, en raison des épreuves terribles qu’ils traversent et de l’injustice qui les frappe, mais surtout grâce à l’amour qui les lie et à leur résilience. Le récit de leur aventure sur le sentier parlera sans aucun doute aux amateurs de grande randonnée, comme moi. J’y ai retrouvé le pouvoir de la marche, dans le sentiment de liberté qu’elle procure, l’impression d’être hors du temps, la connexion avec la nature et les éléments et la façon dont elle vous force à revenir à l’essentiel – avancer, manger, dormir. Ray se livre avec beaucoup de sincérité, racontant les difficultés, le manque de moyens, la faim, les douleurs, les nuits sans sommeil, l’absence de confort, l’épuisement, les moments de découragement, les doutes sur leurs capacités et la peur de l’avenir. Mais elle raconte aussi comment le sentier les transforme, physiquement et mentalement, comment leur périple les aide finalement à faire le deuil de leur vie précédente et à reprendre le contrôle, leur redonnant l’impression d’un chez-eux sur la route et foi en leur capacité à résister et à rebondir pour se reconstruire une vie heureuse. Elle nous parle également beaucoup de l’humain, à travers leurs rencontres sur le sentier, souvent atypiques, parfois sous forme de coups de pouce, parfois de rejets.

La perte de leur maison amène aussi l’auteure à prendre conscience de la situation des sans-domicile-fixe. Elle pointe l’hypocrisie des autorités, notamment dans le décompte des SDF, l’exclusion des indésirables dans nos sociétés, l’indifférence collective face à leur détresse, voire la culpabilisation des personnes précaires qui seraient responsables de leur situation, ainsi que le manque de volonté politique à apporter une solution de logement. Elle nous invite ainsi à changer notre vision des sans-abris.

En bref, l’histoire touchante d’un couple frappé par l’injustice et la maladie, qui perd tout et entreprend un voyage de la dernière chance, comme pour repousser l’échéance et éloigner la maladie.

Au-delà du témoignage, la description des paysages des Cornouailles, de cette côte rocheuse battue par le vent et la pluie, avec ses falaises abruptes, ses plages et ses jolis ports de pêche, m’a donné envie de faire un jour le South West Coast Path !

J’avais perdu mes repères. Le pays entier me dominait de toute sa hauteur, un espace vide et blanc qui n’avait rien à nous offrir. Une seule chose était réelle, plus réelle pour moi que le passé que nous avions perdu ou l’avenir qui ne nous attendait pas : si je mettais un pied devant l’autre, le chemin me ferait aller de l’avant, et une bande de terre, parfois guère plus large que trente centimètres, était devenue notre port d’attache. Ce n’était pas seulement ce frisson dans l’air, l’horizon plus bas, la densité de la rosée ou le caractère résigné des cris des oiseaux, mais quelque chose en moi qui marquait aussi le changement de saison. Je ne luttais plus, je n’essayais plus de changer ce qui ne pouvait pas l’être, je ne serrais plus les points avec angoisse pour agripper une vie que nous avions laissée filer, je ne m’emportais plus contre un système arbitraire trop bureaucratique pour reconnaître la vérité. Une nouvelle saison s’était glissée en moi. Une saison plus douce où j’acceptais notre sort. Brûlée par le soleil, chassée par les tempêtes, je pouvais sentir le ciel, la terre et l’eau, et je savais désormais me réjouir de faire partie de la spirale des éléments sans qu’un abîme de douleur s’ouvre sous mes pas à la pensée de notre ancrage perdu. Je faisais partie d’un tout. Je n’avais nul besoin de posséder un carré de terre pour l’éprouver. Quand je me dressais face au vent, j’étais le vent, la pluie, la mer. Tout cela, c’était moi, et je n’étais pourtant rien dans cet univers. Le fondement de mon être résistait. Translucide, évanescent mais plus fort à chaque cap franchi.

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