Indian Creek, Pete Fromm

Les températures négatives de cette semaine tombent à point nommé pour vous présenter Indian Creek, une de mes meilleures lectures de cet hiver.

Le garde commença à parler de bois à brûler. Je hochais la tête sans arrêt, comme si j’avais abattu des forêts entières avant de le rencontrer. – Il te faudra sans doute sept cordes de bois, m’expliqua-t-il. Fais attention à ça. Tu dois t’en constituer toute une réserve avant que la neige n’immobilise ton camion. Je ne voulais pas poser cette question, mais comme cela semblait important, je me lançai : – Heu… C’est quoi, une corde de bois ?

Ainsi débute le long hiver que Pete Fromm s’apprête à vivre seul au cœur des montagnes Rocheuses, et dont il nous livre ici un témoignage drôle et sincère, véritable hymne aux grands espaces sauvages. Indian Creek est un captivant récit d’aventures et d’apprentissage, un Walden des temps modernes.

Un homme qui passe un hiver en solitaire dans les bois pour veiller sur des œufs de saumon – dit comme ça, cela ne donne pas trop envie. Moi-même, s’il n’y avait eu le nom de Pete Fromm, j’aurais sans doute passé mon tour. Quelle erreur !

Car la plume de l’auteur, son sens de la narration, fait toute la différence. Je crois pouvoir dire, après mon coup de cœur pour Mon désir le plus ardent, le roman marquant La vie en chantier et cette troisième lecture, que Pete Fromm est une valeur sûre.

Bien sûr, pour apprécier Indian Creek, il faut aimer la nature et les balades dans la neige. On se situe entre le nature writing et le récit d’aventure. Mais malgré un rythme assez lent et un quotidien routinier, on ne s’ennuie pas une seule seconde.

Le jeune Pete Fromm nous est immédiatement sympathique. Ce n’est pas le récit d’un héros ou d’un homme aguerri, mais d’un novice qui a accepté une mission sur un coup de tête et a tout à apprendre. L’auteur fait preuve de beaucoup d’auto-dérision et cet humour participe à rendre la lecture agréable. Il commence son récit en reconnaissant sa naïveté et une certaine inconscience à s’être lancé dans un tel projet : sept mois coupé du monde, seul dans une tente au croisement de deux rivières, avec son chien, son matériel et sa réserve de nourriture, sans contact téléphonique ni accès routier. Mais bercé par les récits de voyage d’aventuriers et l’envie de vivre une aventure similaire, il accepte le job malgré son manque évident de préparation, et une fois sur place, impossible de reculer !

Le témoignage de Pete Fromm est une vraie leçon d’humilité. Loin d’idéaliser son aventure, il partage ses difficultés, ses coups de mou dans les moments d’ennui, la solitude parfois pesante, renforcée par le manque de ses proches et l’impression de passer à côté de moments importants. Au fil des pages, pourtant, on le voit apprivoiser son nouvel environnement, s’adapter à cette vie solitaire, rustique. Et on comprend son émotion lorsque, à l’heure du retour à la civilisation, il a du mal à quitter Indian Creek et appréhende de retrouver la foule. Ce qu’il a vécu là-bas est une de ces expériences qui marquent une vie, qui invitent à repenser notre rapport au monde.

Les mots de Pete Fromm m’ont véritablement transportée dans ce parc naturel à la frontière entre l’Idaho et le Montana. On vit à ses côtés au rythme de la nature, de cet hiver qui fige tout, qui fait déserter les hommes, ne laissant qu’un monde de neige et de silence. On redécouvre avec lui les paysages qui se transforment quand vient le dégel, le bruit de la rivière qui s’écoule de nouveau, la route redevenue praticable qui ramène les garde-forestiers, les chasseurs et les touristes. On a rarement vécu l’arrivée du printemps de façon si intense.

La route était ouverte. Je pouvais maintenant me déplacer en camion, aller jusqu’à Paradise ou Magruder pour prendre un bain. Je pouvais même aller jusque dans le Montana, à Missoula. Je pouvais aller où je voulais. Cela me faisait un effet étrange et je ne savais pas quoi penser. J’ignorais si j’avais envie d’aller où que ce soit. Je craignais de passer à côté de quelque chose si je partais.
Après un hiver passé à rêver de m’échapper quelques jours, je n’avais plus envie de sauter dans mon camion pour m’en aller. Je restai dans la montagne à regarder le printemps s’installer et transformer mon univers.

Pete Fromm a écrit Indian creek des années après son expérience, à la demande d’un éditeur, à l’aide des carnets de notes qu’il avait remplis à l’époque. Et c’est sans doute cette distance qu’il a avec celui qu’il était, un jeune homme inexpérimenté, qui lui permet de prendre du recul et d’avoir ce regard sur ce qu’il a vécu et la façon dont cela l’a marqué. On sent une certaine tendresse pour le jeune Pete, son comportement parfois insouciant et les erreurs qu’il commet. Le temps qui a passé aide également à rendre le livre plus intéressant, en faisant, plutôt qu’un simple récit des faits, l’analyse des situations rencontrées et de son état d’esprit d’alors. L’auteur parvient à transformer son journal en un récit de jeunesse, presque un roman initiatique, qui rend hommage aux merveilles de la nature.

En bref, une incroyable aventure au cœur de l’hiver, un roman d’apprentissage drôle et touchant, que je conseille à tous les amoureux de la nature.

Publicité

3 réflexions sur “Indian Creek, Pete Fromm

  1. Pingback: Mes lectures de l’hiver |

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s