Depuis mon coup de cœur pour Les Débutantes il y a quelques années, j’avais en tête de lire les autres œuvres de J. Courtney Sullivan. C’est enfin chose faite avec Les liens du mariage.

De 1947 à 2013 : Frances, Evelyn, James, Delphine et Kate – cinq destins s’entrecroisent sans savoir ce qui les lie. De Frances, pionnière de la publicité dans les années 1940 qui a sacrifié sa vie amoureuse au profit de sa carrière, à Kate, jeune femme des années 2000 qui a arrêté de travailler pour s’occuper de sa fille, tout en fuyant le mariage, J. Courtney Sullivan retrace les évolutions du couple depuis soixante ans. Elle détaille avec minutie les variations de la vie à deux et nous plonge comme à son habitude dans les pensées de ses personnages.
Le roman est original en ce qu’il a pour thème l’industrie du mariage et plus largement l’évolution du mariage des années 50 à nos jours. Ainsi, son intérêt réside davantage dans le sujet traité que dans les personnages en eux-mêmes, puisque chaque personnage représente une époque ou une vision du mariage. Le roman est également très instructif sur la situation des femmes dans les années 50, 60 et 70.
Les liens du mariage est construit comme un roman choral, autour du point de vue de cinq personnages.
En 1947, Frances, qui a privilégié sa carrière et sa liberté plutôt que le mariage et la vie de famille, est une des premières femmes à se faire un nom dans la publicité. Son principal client est De Beers, un conglomérat dans l’industrie du diamant, pour qui elle va trouver un slogan qui fera date : »Un diamant est éternel ».
En 1972, Evelyn a pris sa retraite depuis une dizaine d’années afin d’être disponible pour sa petite-fille – elle avait choisi de garder son emploi d’enseignante après son mariage, chose rare pour l’époque. Elle a du mal à accepter le divorce de son fils, d’autant qu’elle était très attachée à sa belle-fille et craint de ne plus voir ses petites-filles.
En 1987, James, urgentiste du SAMU, a du mal à joindre les deux bouts, croule sous les dettes et souffre de ne pas pouvoir offrir à sa femme et son fils la maison de leur rêve et la vie qu’ils méritent. Leurs difficultés financières causent des tensions dans leur couple.
En 2003, Delphine a tout quitté sur un coup de tête – son travail, son mari et sa vie à Paris – pour suivre son jeune amant à New-York. Mais son arrivée dans cette ville étrangère où elle ne connait personne et où elle est réduite à être la femme désœuvrée d’un homme riche, s’avère plus compliquée que prévue.
Enfin, en 2012, Kate, une femme engagée, a quitté son travail dans une ONG de défense des droits de l’homme pour s’installer à la campagne avec son compagnon et s’occuper de sa fille. Fondamentalement anti-mariage, elle retrouve pourtant sa sœur et sa mère à l’occasion du mariage de son meilleur ami, un des premiers mariages gays célébrés à New-York. Elle affronte péniblement les remarques de sa famille sur ses choix de vie, décidée à assumer son concubinage et les principes d’éducation de sa fille.
A travers ces cinq portraits, J. Courtney Sullivan interroge notre perception du mariage et montre bien comment la société influe sur nos désirs, y compris les plus intimes comme le fait d’avoir des enfants ou de se marier. J’ai été frappée d’apprendre l’histoire de la construction de la bague en diamant comme inséparable des fiançailles et de la cérémonie du mariage – une image qui résulte d’un travail de fonds de publicitaires, engagés par un industriel du diamant, et qui est finalement très récente ! Force est de constater qu’ils ont parfaitement réussi leur coup en imposant dans l’imaginaire collectif l’idée que l’engagement du mariage, via la bague de fiançailles d’abord, puis l’alliance ensuite, passe par une bague dotée d’une pierre précieuse, la plus rare et la plus chère possible.
Si j’ai trouvé la confrontation des époques intéressantes pour montrer l’évolution des mœurs et de la représentation du mariage, je suis plus mitigée sur le morcellement du roman. La construction est assez étrange : on a une vingtaine de pages par point de vue, les cinq personnages se succédant, puis de nouveau le premier point de vue, et ainsi de suite jusqu’à la fin. Il y a une subtilité supplémentaire dans le fait que le récit de Frances avance de dix ans en dix ans, alors que les récits des autres personnages restent à leur année de départ et déroulent plutôt la suite immédiate de la partie précédente (tout en comportant parfois des flash-back). C’est assez frustrant d’amorcer une histoire puis de l’interrompre brutalement pour passer à une autre qui n’a rien à voir. Ce découpage nous fait également perdre le fil. Il m’a fallu à chaque fois quelques minutes pour me remémorer le contexte de chaque histoire et ce qui s’était passé précédemment (80 pages en arrière, donc). Sans doute aurait-il été préférable de choisir moins de personnages et de développer davantage l’histoire de chacun (d’ailleurs, j’ai trouvé l’histoire de James moins intéressante). Il est vrai que l’on reste sur notre faim, avec le sentiment de n’avoir fait qu’effleurer chaque histoire, comme un bref aperçu de morceaux de vie sans intrigue propre, qui ne nous laisse pas connaître réellement chaque personnage et leur devenir. Avoir moins de points de vue aurait également permis de moins fractionner les récits et donc au lecteur de suivre plus facilement.
L’auteure fait fort, cependant, en nous laissant croire au départ que les histoires sont totalement indépendantes les unes des autres puis en finissant par nous montrer comment les personnages sont liés (je n’en dis pas plus, je vous laisse la surprise 😉 ). J’aime particulièrement ce procédé dans les romans chorals, je trouve qu’il y a quelque chose d’extrêmement satisfaisant à voir les chemins se rejoindre !
Malgré les quelques réserves exprimées, Les liens du mariage fut une lecture très plaisante. J. Courtney Sullivan a bien creusé son sujet et propose un portrait complet de l’évolution des relations de couple, de la situation des femmes et du mariage sur les soixante dernières années.
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