Je reviens aujourd’hui pour vous parler du dernier roman de Margaret Atwood, paru en 2017, soit près de 30 ans après le fameux Servante écarlate.

Stan et Charmaine ont été touchés de plein fouet par la crise économique qui consume les Etats-Unis. Réduits à vivre dans leur voiture, ils sont au bord du désespoir. Charmaine trouve alors la solution à tous leurs problèmes dans une étonnante publicité pour la ville de Consilience. Promesse d’une vie de rêve, Consilience leur assure un toit, à manger et du travail… Un mois sur deux. L’ autre mois, les habitants le passent en prison, nourris et blanchis, pendant que d’autres s’installent chez eux. Une règle absolue régit cette étrange utopie : ne jamais entrer en contact avec les « alternants ». Mais Stan tombe bientôt sur un mot qui va le rendre fou de désir pour celle qui se glisse entre ses draps quand lui n’y est pas : « Je suis affamée de toi ».
J’ai mis un peu de temps à entrer dans le roman. Il faut dire que c’est particulier et assez sombre. Mais une fois habituée au ton, et l’intrigue lancée, ma curiosité était piquée et j’ai bien accroché !
C’est le cœur qui lâche en dernier est une dystopie au concept plutôt original. Margaret Atwood imagine une communauté nommée Consilience (condamnés + résilience) dans laquelle les habitants passent un mois sur deux logés gratuitement dans un petit pavillon, avec un travail tout trouvé par la ville, et l’autre en prison pendant qu’un couple d’Alternants occupe leur maison.
Dit comme ça, on se demande comment ça peut marcher : qui accepterait de son plein gré d’aller en prison ? Mais dans un contexte de crise économique, où Stan et Charmaine se retrouvent dans la misère, comme tant d’autres Américains, sans emploi, à vivre dans leur voiture, ils sont prêts à tout pour s’en sortir. Ils tombent sur une publicité qui leur fait miroiter une existence de rêve en leur proposant de participer au projet Positron, une expérience sociale qui promet de faire disparaitre le chômage et la criminalité. On leur offre un logement, un emploi, du pouvoir d’achat et une vie tranquille en communauté : ils signent.
Si au début ils se réjouissent d’avoir retrouvé un minimum de confort et s’efforcent de voir le bon côté des choses, des doutes font peu à peu à surface. Les choses commencent sérieusement à dégénérer à partir du moment où Charmaine rencontre par accident son alternant. Dans le même temps, Stan tombe sur un mot érotique et fantasme sur son alternante, alors que sa relation avec sa femme s’enfonce dans la routine.
Il est difficile de s’attacher aux personnage, assez caricaturaux, plutôt banals voire un peu lourds et niais. Mais c’est que ce n’est pas le but de l’auteure. Au contraire, elle maintient une certaine distance dans sa narration, un peu comme si elle se moquait de ses personnages et prenait le lecteur à témoin. Margaret Atwood choisit ici le cynisme et l’humour grinçant pour nous questionner sur la balance entre libre-arbitre et sécurité : jusqu’où est-on prêt à aller pour satisfaire ses besoins matériels, pour vivre une existence paisible ? En même temps qu’elle pose plusieurs dilemmes moraux, elle nous donne à voire l’être humain dans ses vices et ses failles : jalousie, infidélité, lâcheté, vénalité, abus de pouvoir, harcèlement…
La première partie du roman, décrivant le quotidien à Consilience, n’est pas la plus palpitante. Mais à partir de l’élément déclencheur, on perçoit peu à peu l’envers du décor et l’ampleur du projet politique et commercial derrière Positron. Dès les premiers jours, les contraintes imposées nous mettent la puce à l’oreille : interdiction de quitter à la ville une fois qu’on a signé pour y entrer, interdiction de rencontrer ses alternants, méfiance envers les médias et les détracteurs, contrôle des moyens de communication, surveillance des habitants…
Mais cela va beaucoup plus loin que ce qu’on peut imaginer à première vue. A tel point que vers la fin le roman a tendance à partir dans tous les sens, mêlant de manière surréaliste lobotomisation, poupées sexuelles et faux Elvis – quitte à risquer la caricature du genre. Pourtant, Margaret Atwood propose de manière intéressante une vision dégénérée et critique de notre société : capitalisme, consumérisme, corruption du pouvoir politique, marchandisation du corps, dérives du progrès, obsession de la sécurité et du bonheur, refus de tout ce qui n’est pas normé et économiquement viable.
C’est le cœur qui lâche en dernier est glaçant, car il nous amène à penser un avenir pas si irréaliste, une dérive possible de notre monde, derrière cette société qui cherche à tout acheter, à tout contrôler, y compris le sentiment amoureux et les relations humaines.
Merci pour ton avis ! Ce livre me fait envie. Je ne sais pas pourquoi ça m’a fait pensé à un livre que j’ai lu (pourtant, je m’en souviens peu) : La transition de Luke Kennard. Des fois il y a des liens étranges qui se font dans la tête… haha je crois que c’est le côté « black mirror » des intrigues.
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Tiens ça m’intrigue je vais aller voir 🙂 Eh oui parfois même quand l’intrigue n’a pas forcément de rapport, le style ou les thèmes abordés ou même certains personnages résonnent !
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Je n’ai pas lu de dystopie depuis bien longtemps et ça me manque. Je crois que celui-là va être invité à se loger sur mes étagères =)
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Bonne idée ! 😉
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