Quand on épouse le prince charmant, beau et brillant, qu’on a avec lui deux petites filles adorables, comment imaginer un seul instant que le pire puisse arriver ? Qu’il a menti sur tout, tout le temps ? Qu’il va falloir se résoudre à affronter celui qu’on a tant aimé dans une lutte sans merci ?
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Une fois encore, il est difficile de vous parler du roman de Mathieu Menegaux sans trop vous en révéler et vous gâcher l’histoire. Je vais donc essayer dans cette chronique de parler simplement des thèmes généraux abordés, qui semblent tenir à l’auteur puisqu’ils sont ont assez communs à Je me suis tue. D’ailleurs, plus que l’intrigue en elle-même, c’est le message qui est important. La fiction n’est ici qu’un moyen de réveiller les consciences et de dénoncer les failles du système judiciaire.
Le roman s’ouvre sur un angle original : Daphné écrit une lettre à sa belle-mère pour lui raconter sa version des faits et rétablir son honorabilité. On ne sait pas encore ce qu’il s’est passé, mais on comprend rapidement qu’il s’agit d’un drame et qu’il concerne Maxime, son mari.
Assurément, Mathieu Menegaux n’est pas optimiste quant au fonctionnement de la justice. Et en même temps, qui peut lui donner tort, lorsque l’on sait que son roman est inspiré de faits réels ? Dans ce roman choc, puissant et engagé, il nous démontre que le système judiciaire ne sert pas toujours les intérêts de la victime. Au contraire, Daphné va être prise dans un engrenage terrible qui va la pousser à des choix extrêmes.
L’auteur montre très bien que la justice s’insère avant tout dans une société, avec ses tabous et ses préjugés. Dans l’esprit commun, il y a une victime idéale, avec un comportement attendu, il y a un coupable idéal, avec un profil-type. Et lorsque l’on déroge à ce schéma, il devient beaucoup plus compliqué d’être entendu. Alors qu’elle devrait être avant toute chose présumée vraie, la croyance en la parole de la victime est loin d’être acquise. Il suffit de se rappeler toutes ces affaires d’agression ou de harcèlement sexuel où l’on va immédiatement s’interroger sur la véracité des accusations et culpabiliser la victime. Evidemment, lorsqu’il s’agit d’enfant, le recueil de la parole, le dénouement de la vérité derrière les non-dits est encore plus délicat. J’ai trouvé intéressant que Daphné ait au départ la même réaction que ses futurs détracteurs. Le fait qu’au départ elle-même ferme les yeux et mette en doute la parole en dit long sur ce problème. Mais on la comprend, car ce genre de drame n’arrive toujours qu’aux autres.
J’ai le sentiment que le parcours judiciaire pour faire reconnaitre un crime est encore plus difficile lorsqu’il a lieu dans la sphère familiale, à cause de la pression de l’entourage et de l’envie de sauver les apparences aux yeux de ceux pour qui l’on était un couple, une famille parfaite. Le statut, l’image sociale que la personne renvoie est un obstacle de taille. La première réaction aux accusations va être le déni : « on le connait, il est incapable de faire une chose pareille. ». Ce refus de rompre avec ses certitudes est d’une violence inouïe. Pourquoi le premier réflexe face à une victime est-il de présupposer qu’elle ment ou qu’elle exagère, plutôt que de lui accorder sa confiance, de la soutenir avant même que les faits soient reconnus par la justice ?
Au-delà des erreurs humaines, le plus terrible concerne les failles du système judiciaire. A la lecture du Fils parfait, j’ai réalisé que la justice est une machine qui peut vous broyer totalement si vous ne connaissez pas les codes, si vous n’agissez pas comme il faut, en suivant les bonnes étapes, si vous n’avez pas l’air du témoin ou de la victime idéale. Finalement, on a le triste sentiment que la vérité importe peu. L’important est d’avoir un avocat, de connaître le système, de savoir s’en servir à son avantage. Il est plus facile que l’on pense de discréditer une victime, de jouer la carte de la diffamation, d’insinuer le doute dans l’esprit des policiers et des juges. Vous pouvez être un témoin tout à fait honnête persuadé que les coupables seront punis parce qu’ils sont coupables, mais la justice est un rapport de force. C’est un monde très normé, plein de règles, d’idées reçues et de failles. Toute l’honnêteté et la bonne volonté du monde ne suffisent pas, il faut des preuves, des faits matériels indiscutables, et tant pis si le recueil des preuves est de fait quasi impossible. Et même dans l’hypothèse où les faits seraient prouvés, la peine dépendra encore du profil du coupable, de ses antécédents, de sa dangerosité supposée… Avec ça, quelles chances a la procédure d’aboutir à une condamnation effective, surtout lorsque l’on sait que les places manquent en prison et que les tribunaux sont débordés ?
Mathieu Menegaux a une façon très pédagogue d’écrire. Par moment, on quitte presque la sphère du roman pour l’explication d’une qualification juridique ou du fonctionnement du système judiciaire. J’ai appris beaucoup en même temps que j’ai été choquée de l’absence de certaines dispositions pénales et de l’impuissance ou de la froideur implacable de la justice face à une victime.
Je vais m’arrêter là, de peur de trop en dire, mais je ne peux que vous conseiller ce roman, court et intense. Il est superbement écrit, glaçant mais nécessaire. Je crois qu’il m’a encore plus marquée que Je me suis tue, dont l’histoire était peut-être plus classique. Même en connaissant le style de Mathieu Menegaux, je ne m’attendais pas à un tel drame. Cela va bien au-delà du crime commis, c’est l’injustice de la situation, le retournement total de l’accusation et les répercutions sur les victimes. Dommage pour cette fin un peu abracadabrantesque, le roman n’avait pas besoin de ce drama supplémentaire pour marquer les esprits.
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En bref, un roman parfaitement mené, qui aborde un sujet tabou et nous tient en haleine tout du long. Glaçant et révoltant, à la fois par l’horreur du crime et l’injustice subie par Daphné dans son parcours judiciaire, il laisse sans voix et donne envie de s’insurger contre le système judiciaire. Un fils parfait m’a beaucoup touchée et m’a fait réfléchir, peut être un peu déprimée également. Si vous aviez encore des illusions ou des idéaux sur la justice, ils risquent forts d’être battus en brèche…
Ta chronique m’incite à lire ce livre, je le rajoute sur ma liste.
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