Vania Strudel a 15 ans, un œil qui part en vrille et une vie qui prend à peu près la même direction. Et ce, à cause de :
– Sa mère, qui est morte quand elle avait huit ans.
– Son père, un taxidermiste farfelu.
– Pierre-Rachid, son pote de toujours, qui risque de ne plus le rester…
– Son ennemie jurée, Charlotte Kramer, la star du lycée.
– Sa rentrée en Seconde, proprement catastrophique.
Pour Vania, c’est clair : l’existence est une succession de vacheries, et elle est condamnée à n’être personne. Une fourmi parmi d’autres. Mais un soir, elle reçoit un mail anonyme, qui lui explique en détail que non, elle n’est pas une banale fourmi noire sans apérités. Elle serait même plutôt du genre fourmi rouge.
* * *
La Fourmi rouge, c’est la preuve que la littérature jeunesse est de qualité et que le young adult n’est pas que normé, n’est pas que dystopie ou romance pleine de stéréotypes. Ce roman a été un vrai coup de cœur. J’aurais adoré le découvrir en tant qu’adolescente. Mais même adulte, maintenant que j’ai un regard un peu différent sur la vie et d’autres préoccupations, Emilie Chazerand a su me faire rire et me toucher par l’histoire de Vania.
Dans la même veine que Les petites reines, à laquelle il a été beaucoup comparé (mais qu’il surpasse largement à mon humble avis), La Fourmi rouge met en scène des personnages plutôt loosers. Vania Strudel n’a pas été gâtée par la nature. Affublée d’un nom à coucher dehors (« un blase de protège slip accolé à une pâtisserie autrichienne »), elle en veut aussi beaucoup à la génétique : paupière gauche tombante, genoux cagneux, cheveux filasse, silhouette androgyne… Outre un physique qu’elle n’assume pas, mentionnons une famille dont elle a (parfois) honte, une vie amoureuse inexistante, des amis tout aussi peu populaires qu’elle et des passions étranges (l’hélicon et la reconstitution de miniatures dans des boites à chaussures). Bref, Vania est hors catégorie, et à la croire, son cas est irrécupérable.
Les personnages qui entourent Vania forment avec elle le club des marginaux. Il y a le père taxidermiste, l’amie jolie victime d’une maladie qui lui donne une odeur insoutenable, l’ami d’enfance Pierre-Rachid (pour l’intégration) coupable de trahison car devenu beau-gosse pendant l’été,… L’auteur a joué cette carte à fond en revendiquant le côté décalé et le second-degré. Vania se met dans des situations impossibles – honnêtement on finit par la croire quand elle dit qu’elle a la poisse ! – et c’est ce qui donne son rythme au roman.
Vous l’aurez compris, le roman est totalement improbable. Et j’ai envie de commencer par vous dire que c’est drôle, tout simplement. Vous savez que je ris rarement en lisant un roman, étant assez difficile pour le genre humoristique. Or, là, c’est plein de punchlines, c’est incisif, sans filtre, bien trouvé. On rit forcément. Emilie Chazerand écrit merveilleusement bien, et ça fait du bien de lire un roman ado avec un vrai style, de l’esprit et des dialogues bien rédigés.
Et pourtant, au-delà de l’humour, le roman est réaliste parce qu’il reflète les préoccupations des jeunes de son âge, le mal-être de certains adolescents et l’épreuve que peut représenter le passage d’un âge pas toujours facile à vivre, où les ados ne sont pas tendres entre eux. Il aborde aussi des sujets sérieux, à travers la situation familiale particulière de Vania ou le harcèlement scolaire. L’auteur a réussi à s’adapter à l’âge de ses personnages et à rendre le roman crédible, tout en parlant à des lecteurs plus âgés. Face à la tendance de la jeune fille à tout voir en noir et à s’apitoyer sur son sort, j’avais envie de lui dire d’être patiente, de relativiser, car dans quelques années tout cela lui semblerait insignifiant.
Vania est touchante quand on ressent la souffrance derrière l’autodérision, le manque de confiance en elle, le réflexe de fuir ou de se réfugier derrière sa carapace pour ne pas être blessée, de se refermer comme une huître dès lors que l’on aborde la question des sentiments. C’est une jeune file courageuse, mais aussi désabusée. Elle se dévalorise constamment, se sent moche, douée pour rien, invisible. Et son histoire relate aussi un cheminement vers plus de confiance en soi et un nouveau départ.
Mine de rien, La Fourmi rouge porte un message important pour ses jeunes lecteurs, un message d’acceptation de soi. Il invite à être indulgent avec soi-même, à accepter ses différences et à faire de ses particularités une force. Il nous montre que les épisodes douloureux de notre vécu cultivent notre combativité et nous façonnent. Ils nous permettent d’être unique, d’être des fourmis rouges.
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En bref, un roman atypique, porté par une galerie de personnages excentriques et une héroïne dont on se souviendra. Une bouffée d’air, une bonne partie de rigolade, et de l’émotion lorsqu’on perçoit les messages importants derrière la façade de l’humour.
Mais comment, vous ne l’avez pas encore lu ??!!
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Je l’ai lu il y a environ 2 ans, je ne me souvenais plus de l’histoire exacte, mais je l’avais aussi énormément aimé ^^
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Souvent, c’est le ressenti global qui reste, et c’est ce qui compte finalement !
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Et non je ne l’ai pas encore lu 🙂 Mais vu ce que tu en dis, j’ai hâte de le découvrir à mon tour !
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Héhé, c’était le but 😉 J’espère qu’il te plaira autant qu’à moi !
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Je l’avais lu et adoré ! Conseillé à mes élèves, elles adhèrent aussi ^^
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Oh ça doit être intéressant d’avoir l’avis des jeunes de l’âge de Vania !
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