Les quatre filles du révérend Latimer, Colleen McCullough

couv42549533.gifAustralie, début du XXe siècle. Les sœurs Latimer sont au nombre de quatre : Edda et Grace, les aînées, sœurs jumelles nées de la première union de leur père, un pasteur dont l’épouse est morte en couches ; Heather et Kitty, des jumelles également, filles de l’ancienne gouvernante du presbytère qui a épousé le révérend en secondes noces. En 1925, les sœurs âgées de 18 et 19 ans fuient l’austérité du presbytère et l’autorité maternelle pour se former au métier d’infirmière dans l’hôpital de leur ville natale, en Nouvelle-Galles du Sud. Elles pourront dès lors laisser libre cours à leurs aspirations – une soif d’indépendance et la recherche de l’amour. Mais la Grande Dépression pourrait balayer leurs rêves…

* * *

J’ai lu ce livre un peu par hasard grâce à la Masse critique Babelio. Je les remercie au passage et m’excuse pour le retard de ma chronique ! J’avais entendu parler des Oiseaux se cachent pour mourir, le roman le plus célèbre de l’auteur, sans avoir lu le livre ni vu la série. Et j’avoue avoir pris un peu peur en voyant la note très moyenne des Quatre filles du révérend Latimer sur Livraddict. Mais vous me connaissez, cela ne m’a pas empêché de me lancer car je suis partisane du « Chacun doit se faire son avis ». Je pousserai même le vice à dire qu’il vaut peut-être même mieux partir avec un a priori négatif ou l’éventualité que le livre ne nous plaise pas, plutôt que de débuter plein d’espoir un livre précédé par sa réputation et être finalement déçu car on s’attendait à mieux. Précisément, je ne m’attendais à rien, et j’ai été heureuse de la découverte.

[Attention : longue chronique en perspective !]

Le roman raconte l’histoire des sœurs Latimer, 2 x 2 jumelles, dans l’Australie des années 1920-30. Pour gagner leur indépendance et échapper au carcan familial (plus particulièrement à leur terrible belle-mère), elles décident de se lancer ensemble dans une formation d’infirmière. [Comme une idiote au début en lisant Nouvelles Galles du Sud je me représentais le Royaume-Uni, avant de me rendre compte qu’on était en Australie ^^ ]. On va suivre alors le chemin des quatre sœurs, l’occasion de comparer leurs aspirations d’adolescentes et ce que la vie leur a réservé.

On ressent l’expérience personnelle de l’auteur dans le domaine de la médecine – et sans doute cet aspect est-il un peu trop présent au début du roman. Mais cela permet, au-delà de la fiction, d’évoquer la professionnalisation du métier d’infirmière et la gestion d’un hôpital. J’ai trouvé intéressant de voir le fonctionnement de l’hôpital, l’organisation interne, les rapports de pouvoir, le directeur radin ou encore l’infirmière-chef pas très commode.

Certes, il y a quelques longueurs – 535 pages tout de même ! Honnêtement, je n’ai pas hésité à survoler certains passages peut-être trop « techniques » sur la médecine, le contexte économique ou la politique. J’avoue n’avoir pas bien saisi l’intérêt de développer autant le contexte politique local.

J’émettrai aussi une petite réserve concernant la construction du roman, parfois déroutante. On peut passer assez rapidement et sans transition d’un personnage à un autre, d’un lieu à un autre ou d’une date à une autre, ce qui donne vite un aspect général décousu. Pareil dans le traitement l’histoire : j’avais le sentiment que le temps narratif était inégal au sens où certains évènements étaient balayés en quelques pages tandis que l’auteur s’arrêtait plus longuement sur d’autres sans que cela ne soit forcément nécessaire.

Néanmoins, contrairement à ce que je craignais, surtout au vu des commentaires que j’ai lus, je ne me suis pas ennuyée ! Une fois lancée, je me suis plongée entièrement dans l’histoire et ai suivi avec beaucoup d’intérêt le destin des personnages. J’ai aimé accompagner les quatre sœurs. Chacune a sa personnalité et son caractère : Kitty, la plus jolie qui voudrait que l’on voit autre chose d’elle ; Edda, l’ambitieuse qui voudrait être médecin et souffre de ce fait des obstacles liés à son statut de femme ; Grace, moins sensée, plus sentimentale, qui abandonnera rapidement la profession pour se consacrer à son foyer ; et Tufts, infirmière dévouée et travailleuse. Ce ne sont pas nécessairement les héroïnes idéales : elles peuvent se montrer égoïstes, influençables, orgueilleuses ou têtues. Mais c’est ce qui fait aussi leur intérêt. En refermant le livre, on se dit qu’elles sont plus complexes que ce que les premières descriptions laissaient penser, et finalement attachantes. Au-delà de leurs différences, ce sont également des femmes, dans un monde encore dominé par les hommes. Et elles vont, chacune à leur manière, tenter d’aller au-delà des conventions et s’émanciper : d’abord en contredisant les préjugés à leur égard, puis en trouvant leur place dans la profession et en affirmant leur droit à la liberté et à l’indépendance. Intelligentes et débrouillardes, pleines de courage et de détermination, elles sont décidées à ne pas se laisser faire et, en aucun cas, à se rendre dépendantes ni se laisser dicter leur conduite par les hommes. Colleen McCullough explore les relations au sein de la fratrie, les sentiments d’amour, de solidarité mais aussi de jalousie et de désapprobation entre les sœurs, ainsi que les similitudes et les différences entre les jumelles. Car la leçon que nous délivre Les quatre filles du révérend Latimer, à la fin, c’est que rien ne détruira le lien particulier qui existe entre elles.

Le roman s’apprécie à un double niveau. Le premier, celui de l’intime, s’attache à leurs aspirations professionnelles et personnelles, leurs relations amoureuses, leur mariage voire leurs enfants. On est cependant loin d’une romance et on comprend vite que le but n’est pas de nous parler de la naissance et de l’épanouissement des sentiments amoureux. Le second niveau aborde des sujets plus sérieux, parfois en profondeur : la situation de l’hôpital, la politique, les rapports entre l’Australie et la Grande-Bretagne, la crise économique des années 30 et le chômage. Le contexte, c’est également celui d’une petite ville de province, Corunda, où le pasteur tient une place privilégiée, comme les notables, dans la société locale, où chacun se connaît et où les étrangers sont mal perçus.

Je l’admets, j’aime ce genre de roman au fond historique. J’aime voir l’impact des évènements sur les personnages, comme ici avec la crise de 1929. J’aime retrouver l’ambiance du début du XXème et appréhender une époque différente de la nôtre. On voit bien qu’on a affaire à une société encore patriarcale, avec une place très précise dévolue à la femme, où les relations hors mariage sont proscrites, où les femmes qui travaillent sont rares et où les postes à responsabilité leur sont inaccessibles. Certains propos ou comportements peuvent étonner voire choquer au XXIème siècle, mais il faut se remettre dans le contexte de l’époque. De même, les relations amoureuses peuvent aisément faire grincer des dents, en raison des stéréotypes et des usages qui ne sont plus du tout d’actualité. Les rencontres et les mariages se font en un tour de main ! Un homme voit une femme quelques minutes et souhaite l’épouser deux jours après ; une femme accepte une demande en mariage d’un homme qu’elle connaît à peine, presque sur un coup de tête. Tout cela semble peu crédible, même si la précipitation est aussi liée aux règles régissant les fréquentations hommes-femmes de l’époque.

Je conçois donc parfaitement que le roman ne puisse pas plaire à tout le monde. J’ai d’ailleurs été étonnée en apprenant que l’auteur était contemporaine. Pendant ma lecture, que ce soit par son style d’écriture (un plus pour moi !) ou par la connaissance historique des évènements et des mœurs de l’époque, j’avais l’impression que l’auteur était contemporaine des années 30. J’aurais volontiers fait le rapprochement avec Margaret Mitchell, l’auteur de Autant en emporte le vent [attention, les romans n’ont rien à voir, hein!]. Tout cela pour dire : ne vous attendez pas à un roman du même genre que ceux que l’on trouve de nos jours. Il correspondra plutôt aux amateurs des classiques du XIXè-début XXème. Pour finir, l’ambiance générale est assez particulière, pas toujours très gaie. Le titre original du roman, Bittersweet, lui va, je trouve, à merveille.

« C’est la vie même que tu viens de décrire : une traversée douce-amère. »

* * *

En bref, une belle surprise pour un roman dense sur quatre sœurs infirmières dans l’Australie des années 30. Un style qui ne plaira certes pas à tous, mais la rencontre vaut le coup !
Verdict Une bonne suprise

 

8 réflexions sur “Les quatre filles du révérend Latimer, Colleen McCullough

  1. Je pensais également que c’était une auteure plus ancienne! Elle m’intéressait entre autre pour son roman « les oiseaux se cachent pour mourir » mais celui-ci a l’air sympa aussi; je ne sais pas si les passages techniques de médecine m’intéresseront beaucoup mais le côté historique oui, sûrement! 🙂

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  2. Je viens justement de lire « Les Oiseaux se cachent pour mourir », je prépare une critique sur le sujet 🙂 Mais je n’ai pas encore lu celui-ci. C’est intéressant de voir les différences qu’il peut y avoir entre les deux romans de cette autrice, et les thèmes similaires qui peuvent revenir (notamment l’Australie du début XXème, la famille et les relations d’une fratrie, les mariages précipités …)

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